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le paganisme romain et le christianisme y avaient interrompue. Le patriarche Sophronius ne put supporter la vue de cet édifice consacré au culte des infidèles ; il en mourut de honte et de désespoir. Sa douleur était naturelle, mais le sentiment des Juifs aurait dû être tout différent. Les chrétiens s’étaient appliqués à souiller le mont Moriah ; ils l’avaient couvert de décombres et d’ordures ; poussés par cette sorte de rage qui excite les hommes à profaner les croyances qu’ils ne partagent pas, surtout si ces croyances sont l’origine de celles qu’ils partagent, ils avaient cherché à effacer sous des immondices jusqu’aux dernières traces du temple hébraïque. Omar mit lui-même la main à l’œuvre pour déblayer le terrain ; dans son zèle pieux, il n’hésita pas à remplir sa robe avec les détritus qui infectaient le lieu où, pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, l’idée de l’unité divine avait reçu une solennelle consécration. La mosquée qui s’éleva par son ordre a été reconstruite, modifiée et restaurée, mais elle subsiste depuis des siècles comme un témoignage éclatant de la foi au monothéisme. Les musulmans y voient le plus saint de leurs sanctuaires après ceux de la Mecque et de Médine ; ils s’y rendent en pèlerinage ; les chrétiens n’y passent qu’avec curiosité ; ils ont tort : tout homme que préoccupent les pensées religieuses devrait s’y arrêter avec respect pour y réfléchir à cette cause unique, suprême, éternelle que, sous des noms divers, une si grande portion de l’humanité a cru distinguer à l’origine des choses et à laquelle elle a demandé le mot, hélas ! introuvable, de l’énigme de ce monde.

La mosquée d’Omar a eu des destinées non moins sanglantes que celles du Saint-Sépulcre. On sait dans quelle épouvantable catastrophe s’était abîmé le temple hébraïque ; si le monument qui l’a remplacé n’a point subi d’aussi grands outrages, il a été cependant le théâtre d’abominables tragédies. Lorsque les premiers croisés s’emparèrent de Jérusalem, les musulmans se réfugièrent en grand nombre dans la mosquée d’Omar ; les chrétiens les y poursuivirent et y renouvelèrent les scènes de carnage dont, mille vingt-neuf ans auparavant, presque à la même époque de l’année, les soldats de Titus avaient souillé les mêmes lieux. Un écrivain chrétien, témoin oculaire, dit que, sous le portique et le parvis de la mosquée, le sang s’éleva jusqu’aux genoux et jusqu’au frein des chevaux. L’humble et généreux Omar s’était montré plein de compassion à son entrée à Jérusalem ; il faut l’avouer à leur honte, loin de suivre son exemple, les prétendus soldats du Christ poussèrent la cruauté jusqu’aux plus épouvantables extrémités. Après s’être prosternés un instant dans l’église delà Résurrection, pour se reposer d’une première boucherie, ils reprirent l’œuvre de