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par comprendre que ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de s’occuper de ses intérêts, de son crédit, de la réforme de ses institutions, de ses progrès intérieurs, en se laissant aller un peu moins à ses rêves et à ses impatiences, à une politique de chimères et de vaines susceptibilités.

Tous les pays n’ont pas sans doute les mêmes crises, mais tous les pays ont leurs difficultés et parfois leurs confusions. L’Espagne, sans être précisément engagée dans une crise caractérisée et périlleuse, ne laisse pas d’être aujourd’hui dans une situation assez compliquée. Elle assiste à une expérience qui a commencé il y a quelques mois déjà avec l’avènement du ministère de M. Sagasta et du général Martinez Campes, Cette expérience, à laquelle le jeune roi Alphonse XII s’est prêté, avec un prudent esprit de concession aussi bien qu’avec dextérité, a eu pour résultat de déplacer la direction politique du pays, de faire passer le pouvoir du parti conservateur libéral, représenté pendant quelques années par M. Canovas del Castillo, à une fraction plus avancée du libéralisme espagnol. Quel sera maintenant le dénoûment de l’expérience ? C’est là justement la question qui se débat depuis quelques mois à Madrid et qui va s’agiter plus vivement encore, au moins d’une manière plus décisive, dans les élections générales dont la date est déjà fixée. En réalité, depuis qu’il existe, le ministère de M. Sagasta et du général Martinez Campos est dans une situation assez difficile et un peu étrange. Il a succédé à M. Canovas del Castillo, qui avait exercé le pouvoir pendant quelques années, qui est resté pour lui un adversaire redoutable, et par cela même, ne fût-ce que pour se distinguer de son prédécesseur, il a dû tenir à accentuer son libéralisme ? il était obligé aussi de chercher des appuis, des alliés en dehors du parti conservateur, dans des fractions politiques plus avancées. C’est ce qu’il a fait effectivement. Reste à savoir jusqu’où cela peut le conduire, comment il peut faire face aux difficultés de diverse nature qui naissent de la situation ou qu’il se crée à lui-même.

La première question était celle des cortès, dont la majorité appartenait à M. Canovas del Castillo, au parti conservateur, et avec lesquelles le nouveau ministère ne pouvait espérer vivre longtemps en bon accord. La nécessité d’une dissolution avait été prévue dès le premier jour. Cette dissolution a été cependant retardée ; les élections n’auront lieu qu’à la fin d’août, et d’un autre côté pendant ces quatre ou cinq derniers mois le ministère s’est abstenu de réunir les anciennes chambres. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’on se trouve dès ce moment en dehors de toutes les règles constitutionnelles ; demain on sera en pleine illégalité. D’après la constitution, en effet, l’année économique en Espagne commence au mois de juillet. Le budget, les impôts, les forces militaires sont votés pour une année, de juillet à juillet. Les circonstances exceptionnelles où l’ancien budget peut continuer à être en vigueur sont prévues par la constitution, et aucune de ces circonstances n’existe