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part de leur bien. Aujourd’hui c’est l’entrée des troupes françaises dans la Tunisie qui est pour eux un nouveau mécompte dont ils se font un grief, comme si la France avait méconnu leurs droits et attenté à leur propriété. C’est une politique de chimère et d’illusion à laquelle l’Italie risque de sacrifier ses plus vrais intérêts et les alliances naturelles dont elle devrait sentir le prix.

Que l’Italie ait ses ambitions, qu’elle tienne à justifier sa fortune de grand état européen, et que pour soutenir ce rôle elle veuille augmenter encore son armée, ainsi que le proposait récemment un officier distingué, M. le général Mezzacapo, c’est fort bien. Il s’agit seulement de savoir où l’on va avec une politique qui serait d’abord ruineuse pour les finances par les dépenses démesurées qu’elle imposerait et qui ne tarderait pas à compromettre la paix par les passions qu’elle entretiendrait, par la tension qu’elle créerait dans tous les rapports. Les Italiens ne voient pas qu’avec toutes ces mobilités d’ambitions et de désirs, avec ces velléités inquiètes et ces fantaisies d’hostilité contre des voisins qui ne songent guère à troubler leur repos, ils risquent de placer leur pays dans une situation singulièrement critique, dans une alternative pénible ou périlleuse. De deux choses l’une : ou bien l’Italie, après avoir été mise à ce régime d’émotions et de surexcitations factices, peut subir la nécessité des choses en se réfugiant dans une impuissance mécontente, en gardant ses ressentimens, et alors c’est une politique assez stérile qui ne conduit à rien ; ou bien elle peut se laisser entraîner, céder à ses tentations et à ses impatiences, s’engager étourdîment dans cette voie de revendications chimériques, d’armemens démesurés, de manifestations plus ou moins hostiles contre des nations qui ne lui donnent aucun grief sérieux, avouable, — et alors à quoi peut-elle aboutir ? Que peut-elle faire ? Les coups de tête ne sont pas précisément de la politique. L’Italie, à l’heure qu’il est, n’est certainement menacée par personne, pas plus par ceux qui l’ont aidée à se fonder que par ceux qu’elle a eu longtemps à combattre ; elle n’est menacée ni dans ses frontières, ni dans son intégrité, ni dans ses développemens naturels, ni dans son Influence. Elle n’a point à craindre d’être attaquée, d’avoir à se défendre. Elle sera donc obligée, si elle veut une querelle, d’aller la chercher, d’attaquer les autres. Beau résultat qu’auraient obtenu les Italiens gallophobes de pousser leur pays sur l’épée qui l’attendrait immobile à la frontière, de rallumer la guerre entre deux peuplés faits pour être amis et de remettre en question ce qui a été l’œuvre des habiles fondateurs d’une nationalité nouvelle ! Le seul remède à tout cela, c’est que les esprits sensés et éclairés qui ne manquent pas au-delà des Alpes se décident à parler résolument, à dégager de tous les nuages la politique de leur nation. Ils savent parfaitement que leur pays n’a d’autres ennemis que ceux qu’il pourrait se créer par ses fautes. Que l’Italie, sous leur influence, finisse donc