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L’impression a été plus vive, elle est plus tenace au-delà des Alpes, nous en convenons, et l’Italie a quelque peine à retrouver un peu de sang-froid. Les Italiens, à parler franchement, sont depuis quelques semaines dans une phase assez ingrate où ils passent leur temps à prendre prétexte de tout pour exhaler leur mauvaise humeur, à grossir des griefs qui n’existent pas, à se plaindre à tout propos de la France, comme si la France ne pouvait sauvegarder, ses plus simples intérêts sans leur faire tort.

Bien des Italiens sans doute savent se défendre de cette gallophobie qui s’est répandue sur la péninsule comme une épidémie. Le gouvernement lui-même s’étudie à garder l’attitude la plus correcte, et le nouveau ministre des affaires étrangères, M. Mancini, répondant à toutes les interpellations qui lui ont été adressées, s’est exprimé de la manière la plus prudente, la plus conciliante. Malheureusement, dans les pays libres, il y a place pour toutes les fantaisies, et en dehors des pouvoirs officiels il peut se produire ce qu’on voit aujourd’hui au-delà des Alpes, un de ces mouvemens maladifs d’opinion qui peuvent avoir, si l’on n’y prend garde, les plus dangereuses conséquences. Depuis que cette terrible question de Tunis a fait son apparition, beaucoup d’Italiens ont perdu leur calme ; ils n’ont plus contenu leurs défiances ou leurs animosités contre la France, et lorsqu’on en est là, les situations peuvent se gâter, les relations risquent de s’altérer rapidement. Il suffit, pour ajouter aux surexcitations contraires, de quelque incident fortuit comme celui qui s’est passé à Marseille, dans cette ville aux passions ardentes, où plus de cinquante mille Italiens sont mêlés à la population française. Le jour où quelques-uns de nos régimens sont rentrés de la Tunisie conduits par leur général, quelques coups de sifflet se sont, dit-on, fait entendre sur leur passage, et on a cru que ces coups de sifflet partaient du balcon d’un cercle italien. Aussitôt les violences ont éclaté, l’agitation s’est répandue dans la ville, et les collisions sanglantes se sont multipliées. Comment se sont produites réellement ces déplorables scènes ? Y a-t-il eu effectivement provocation de la part des Italiens ? des agitateurs subalternes n’ont-ils pas tout simplement saisi une occasion de désordre ? ces troubles enfin ne s’expliqueraient-ils pas par des raisons économiques de salaires, de rivalités ouvrières ? On ne le sait même pas encore exactement. Dans tous les cas, il n’y a rien qui ressemble à un mouvement prémédité contre une nationalité étrangère, et si, au premier moment, la répression administrative a été faiblement conduite, la magistrature a depuis fait son devoir à l’égard de tous les coupables qui ont été saisis. Ce n’est là en définitive qu’un accident dont le pays n’est pas responsable, qui a été énergiquement désavoué parle sentiment public aussi bien que par le gouvernement. N’importe ; à peine les scènes de Marseille ont-elles été connues au-delà des Alpes, sans plus attendre, les agitateurs ont organisé des manifes-