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égards dont il crut pouvoir se dispenser envers le mort. Mais quittons ce procédé de l’analyse ; laissons parler l’homme et l’écrivain.


II

Nature altière et douloureuse, Alfred de Vigny vivait beaucoup avec lui-même ; ce grand sceptique tenait du chrétien pour l’habitude du recueillement, de la méditation et des élévations. Il croyait à la dignité humaine, à la conscience, et chaque soir, il enregistrait ses actes et ses pensées de la journée. Cet examen d’une belle âme, destiné à rester ignoré du public et qu’une main pieuse a conservé, nous en apprendra plus que tous les commentaires. Faisons donc comme on fait aujourd’hui, parcourons ce livre de conscience, ce livre de bord tracé parmi les épreuves de la traversée et qu’il nous renseigne à son tour sur le navigateur.

« Aimer, inventer, admirer, voilà ma vie.

« Je suis le dernier fils d’une famille très riche. Mon père, ruiné par la révolution, consacra le reste de son bien à mon éducation. Bon vieillard à cheveux blancs, spirituel, instruit, blessé, mutilé par la guerre de sept ans et gai et plein de grâces, de manières. — On m’élève bien. On développe le sentiment des arts que j’avais apporté au monde. J’eus pendant tout le temps de l’empire le cœur ému, en voyant l’empereur, du désir d’aller à l’armée. Mais il faut avoir l’âge ; d’ailleurs le grand homme est détesté, on éloigne de lui mes idées autant qu’il se peut. — Vient la restauration. — Je m’arme à seize ans de deux pistolets et je vais, une cocarde blanche au chapeau, m’unir à tous les royalistes qui s’annonçaient faiblement. J’entre dans les compagnies rouges à grands frais. Un cheval me casse la jambe. Boitant et à peine guéri, je pris la déroute de Louis XVIII jusqu’à Béthune, toujours à l’arrière-garde et en face des lanciers de Bonaparte. — En 1814, dans la garde royale ; après un mois, dans la ligne. J’attends neuf ans que l’ancienneté me fasse capitaine. J’étais indépendant d’esprit et de parole ; j’étais sans fortune et poète, triple titre à la défaveur. — Je me marie après quatorze ans de service, et ennuyé du plat service de paix. On vient de faire sans moi une révolution dont les principes sont bien confus. — Sceptique et désintéressé, je regarde et j’attends, dévoué seulement au pays dorénavant.

« J’aime qu’un homme de nos jours ait à la fois un caractère républicain, avec le langage et les manières polies de l’homme de cour ; l’Alceste de Molière réunit ces deux points.

« J’aime l’humanité, j’ai pitié d’elle. La nature est pour moi une décoration dont la durée est insolente et sur laquelle est jetée cette