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acte ; il a coupé des tirades dont l’exubérance romantique risquait de faire sourire les illettrés d’aujourd’hui. C’est besogne délicate que de raser un mort pour qu’il ait, sur son lit de parade, la barbe bien faite ; quelque touffe peut demeurer, qui le défigure comiquement. Telle exclamation est restée, dans Madame de Chamblay, qu’annonçait autrefois l’air démodé, naïf, un peu emphatique du reste, et qui surprend le public dans ce dialogue rajeuni. Mais l’intérêt de cette reprise n’est pas dans cette restauration : il n’est même pas dans l’expérience faite une fois de plus du talent dramatique de Mlle Mary Jullien, à qui M. Landrol donne la réplique, dans une scène scabreuse, avec une autorité remarquable : il est dans la trouvaille que le public a faite, au cours de cette pièce, d’une situation qu’il connaissait déjà, — mais qu’il connaissait comment ? pour l’avoir remarquée dans l’Etrangère, de M. Dumas fils, postérieure de dix ans à Madame de Chamblay.

On a raconté que M. Dumas fils avait cherché longtemps le dénoûment de l’Étrangère : il a trouvé à la fin celui de Madame de Chamblay, — que son père lui-même, une préface nous l’apprend, avait longtemps cherché. Comme en pareille matière il faut prouver son dire, je demande la permission de citer. Vous vous rappelez qu’au dernier acte de l’Étrangère, l’ingénieur Gérard, avant de se battre avec le duc de Septmonts, fait ses adieux à la duchesse : « La séparation entre nous, lui dit-il, est éternelle, même si je survis… Les hommes ont tout prévu dans leur morale cruelle ; .. ils ont interdit au meurtrier d’un homme d’épouser sa veuve. » Puis survient l’Américain Clarkson, qui, appelé par le duc pour lui servir de témoin, se retourne contre lui : « Je vous dis en face que gaspiller l’héritage qu’on a reçu, perdre au jeu l’argent qu’on n’a pas.., se marier pour payer ses dettes et continuer ses farces, se venger d’une femme innocente, dérober des lettres, abuser de sa force aux armes pour tuer un galant homme, je vous dis en face que tout cela est le fait d’un drôle ; que, par conséquent, vous êtes un drôle, etc. » Le duc, là-dessus, interrompt Clarkson : « Vous vous battrez, n’est-ce pas ? — Oh ! ça ; tant qu’on veut ! — Eh bien ! Quand j’en aurai fini avec l’autre, nous aurons affaire ensemble. — Après-demain alors ? — Après-demain. — Mais il faut que je parte demain soir au plus tard. — Vous attendrez, et en attendant, sortez ! — Comme j’ai l’air d’un monsieur à qui on dit comme ça : Sortez ! et qui sort ! Allez chercher dans votre chambre une bonne paire d’épées et suivez-moi dans les grands terrains déserts qui sont derrière votre hôtel… Quant à nos témoins,.. ce seront les gens qui passeront… » Les deux adversaires sortent, la duchesse rentre, mistress Clarkson arrive ; un moment après, Clarkson reparaît : Mrs Clarkson, en le voyant, dit à la duchesse : « Vous êtes veuve ! »

Rien n’est mieux imaginé ; le revirement de Clarkson est des plus amusans, et l’intervention de ce tiers des plus ingénieuses pour rassurer