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et il ne sonnait jamais de la trompette ; il avait peu de goût pour ce bel instrument, qui a causé tant d’infortunes. Il savait parler bas et même se taire, et en toute chose il préférait l’être au paraître. Il avait pris son parti de rester sur l’arrière-plan et dans la coulisse ; la considération dont il jouissait en haut lieu lui suffisait. A vrai dire, ses conseils n’étaient pas toujours suivis ; il avait l’influence, il n’avait pas l’autorité. Nous l’en croyons sans peine, s’il n’avait tenu qu’à lui, certaines fautes dont les conséquences furent fatales n’eussent pas été commises. Mais nous avons déjà dit qu’il n’accuse personne, qu’il ne s’en prend qu’à la destinée. Et pourtant ce n’est pas diminuer la gloire de M. de Bismarck que d’affirmer qu’on l’a beaucoup aidé. Ses amis, si tant est qu’il en ait jamais eu, ne lui ont guère servi ; mais aucun homme d’état n’a eu tant d’obligations à ses ennemis. Les princes qu’il a dépossédés semblaient s’appliquer à lui faciliter ses entreprises ; ils ont été en quelque mesure les complices de leur malheur.

Sous le règne de son dernier souverain, le Hanovre n’avait pas lieu d’être mécontent de son sort. Le commerce, l’industrie, l’agriculture y prospéraient ; l’instruction publique ne laissait rien à désirer ; l’armée était excellente, elle l’a prouvé à Langensalza. La bureaucratie avait la main un peu lourde, mais l’humeur moins féroce et moins hargneuse qu’ailleurs, et les populations étaient fort attachées à la dynastie. On n’avait pas de grands hommes d’état, mais on avait de bons fonctionnaires, des administrateurs corrects, habiles et intègres. Quand M. Meding entra en fonctions, le ministre de l’intérieur était M. de Borries, petit homme maigre et anguleux, irréprochable dans sa vie privée, manquant de souplesse, trop sensible aux attaques des journaux, trop tendre aux mouches, mais capable, instruit, infatigable au travail, jouissant de l’estime universelle, sans avoir un seul ami dans tout le royaume. Bureaucrate dans l’âme, il estimait que de bons bureaux sont la source de toutes les félicités pour un peuple. Au surplus, il ne se piquait pas de représenter, il n’était pas guindé dans ses allures. Ceux qui lui demandaient audience étaient introduits dans une chambre sombre, et après quelques minutes d’attente, ils le voyaient surgir dans un frac bleu à collet noir, une calotte sur la tête, chaussé de pantoufles en feutre gris, un chandelier de cuivre jaune à la main. Il déposait son chandelier sur une table, la conférence commençait, et on ne tardait pas à s’apercevoir que, s’il avait les idées un peu courtes, il savait bien ce qu’il voulait, ce qui est la première qualité pour un ministre de l’intérieur. Le comte de Platen-Hallermund, qui dirigeait les affaires étrangères, était tout l’opposé de M. de Borries. Fort soigneux de sa personne, homme du monde consommé, il avait de grandes manières, toutes les nuances de la politesse, l’ouïe et l’odorat très fins, l’esprit pénétrant, l’humeur enjouée et railleuse. On l’accusait seulement de manquer de caractère, de réduire la