Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malgré la variété naturelle de leurs talens, les peintres que nous venons de citer travaillent en grande partie d’après quelques idées qui leur sont communes. On prétend qu’ils veulent simplifier leur tâche et qu’ils ne se donnent pas la peine de composer lorsqu’ils font un portrait. C’est un point sur lequel il convient de s’entendre. Le portrait a été compris de différentes manières : c’est une question d’époque et presque de latitude. Tandis que les artistes du Nord ont aimé à le disposer comme un tableau et qu’ils y ont souvent introduit, avec une sorte de pompe théâtrale, tout ce qu’ils jugeaient nécessaire pour faire connaître la qualité et le genre d’activité propre au personnage qu’ils entreprenaient de nous montrer, chez les maîtres des écoles du Midi, chez le Titien par exemple, un principe contraire a généralement prévalu : celui de l’extrême simplicité. Homme ou femme, la figure représentée est seule dans le cadre et se détache sur un fond sombre qui n’exprime qu’un vague milieu. L’intérêt est concentré sur la tête et sur les mains au moyen de sacrifices qui, ne laissant voir que l’essentiel, contribuent à donner à l’œuvre un air de naturel et de grandeur. Constatons-le donc, nos portraitistes ont rompu avec les traditions de notre école, avec Rigault et avec les autres maîtres du XVIIe et du XVIIIe siècle, pour se rapprocher des italiens et des espagnols. Ils ne s’appuient point, en cela, sur de médiocres autorités.

Le seul portrait composé qui soit au Salon est celui de M. G. Popelin, par M. Ferrier. C’est assurément une idée juste de nous représenter au milieu des instrumens multiples du travail de son esprit le sympathique maître ès-arts du feu. Peut-être, en ce moment, sommes-nous influencés par les idées que nous venons d’exposer les dernières, mais nous voudrions autour de la figure un peu plus d’air et d’espace.

Le sentiment peut-il trouver sa place dans le portrait ? Oui, sans doute, et de différentes manières. D’abord l’auteur peut y montrer l’idéal qu’il se forme de l’art et de la pratique de la peinture. C’est le cas de M. Machard, qui avec deux toiles extrêmement remarquées nous initie aux brillans progrès de sa technique. D’ailleurs il nous présente ses modèles avec un goût parfait. Grâce à un coloris des plus riches, mais qui est à la fois contenu et d’une finesse exquise, il les met à part de la foule et nous fait comprendre leur haute distinction. Nous trompons-nous ? Mais il nous semble retrouver dans le portrait de Mlle R. B. de M. comme un souffle du regretté Ricard ? S’il en est ainsi, hâtons-nous de le dire, ce n’est pas réminiscence, c’est parenté d’aspiration et de talent. Il arrive aussi que le sentiment intime du modèle semble se trahir à travers son image ; alors il y a comme une effluve qui vient du personnage et qui vous