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l’esprit, et quand on avait passé quelque temps devant cet ouvrage, on était devenu difficile, pour tout ce qui l’entourait. Après avoir fait, l’an passé, avec son tableau de Jeanne d’Arc, un essai de peinture légendaire dont on lui a su peu de gré, M. Bastien-Lepage aborde cette année un sujet de la vie réelle. Son Mendiant, qui réussit mieux auprès du public, renferme aussi des qualités d’un ordre supérieur. L’idée qui a présidé à la composition n’est pas ordinaire. Le sujet est présenté avec une simplicité grave : un vieux pauvre est sur le seuil d’une maison où un enfant vient de lui faire l’aumône. Il n’y a ni élan de sensibilité chez celui-ci, un marque de gratitude chez celui-là ; un devoir rigoureux vient d’être accompli. Il semble que M. Bastien-Lepage ait ainsi voulu poser à sa manière le problème de la mendicité et la question du droit des pauvres. En effet, l’image est sévère et donne à réfléchir. Le mouvement du vieillard qui serre dans son bissac le pain qu’il vient de recevoir est bien observé. Sa tête exprime sans bassesse, sans affectation mais avec énergie, les sentimens qu’une longue habitude de la misère peut inspirer à un homme arrivé au terme de la vie. L’enfant qui regarde partir le mendiant est bien compris. Si l’auteur avait attaché à la perspective de son tableau tout l’intérêt qu’elle mérite, l’œuvre serait de tout point considérable. Telle qu’elle est, elle est originale et la force singulière d’exécution qu’on y remarque lui assurera toujours un rang élevé. M. Laugée a mis quelque cruauté à représenter une scène de l’inquisition : un malheureux est mis à la question du feu. Il faut bien du talent pour fixer les yeux du public sur cette épouvantable torture. Mais tel est le mérite de l’ouvrage de M. Langée que l’on s’arrête à regarder des choses que l’on hésite à décrire. Ce sont les horreurs d’un autre âge. On échappe à la fascination qu’elles exercent, on s’en détache pour jouir du spectacle qu’osent à nature ou la vie de nos sociétés moins barbares. Ainsi M. Lerolle nous transporte en pleine campagne et nous fait suivre des yeux ses deux paysannes qui passent au pied de grands peupliers, il n’y a rien de plus : mais le pinceau et le sentiment de l’artiste sont d’accord pour nous intéresser à son ouvrage, qui est comme saturé de l’air des champs, M. J. Verbaz nous fait assister, à l’un des épisodes les plus sympathiques des fêtes qui ont été célébrées à Bruxelles à l’occasion des noces d’argent du roi et de la reine des Belges : il a peint le défilé des écoles de petites filles devant la famille royale. La composition est excellente, et on voit cependant que rien n’a été composé. La nature présente ainsi à chaque instant des arrangemens de lignes et des effets qui font tableau : celui-ci a été vu dans la nature. Rangées en longues lignes et se tenant par la main, les enfans s’avancent sur le spectateur,