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comme M. Parnell, ou excessif, comme les conservateurs, se plaisent à mettre en avant dans leurs critiques l’intérêt de ces valets de ferme, sans droit reconnu sur le sol, que landlords et fermiers sont libres d’exploiter, et qui, suivant un mot cruel, n’exploitent eux-mêmes personne parce qu’ils n’ont personne au-dessous d’eux. Malheureusement il est plus facile de plaindre cette couche inférieure de la population irlandaise que d’indiquer des mesures efficaces en sa faveur. Une chose toutefois paraît établie, c’est qu’elle a moins à gagner qu’à perdre à la libre vente du tenant-right. Plus ce dernier sera cher et moins facile lui sera l’accès de la terre et de la propriété.

A l’abri du free sale, en effet, il risque de se former, entre le landlord et l’ancien tenancier, une classe intermédiaire victime de l’avidité du dernier. Il y a dans certaines régions de l’Irlande des cultivateurs ou sous-fermiers qui ne tiennent pas la terre directement du propriétaire légal, mais du tenancier, lequel leur en a cédé ou sous-loué la jouissance à un prix souvent bien supérieur au prix qu’il payait lui-même au landlord. S’il ne s’agissait que de rembourser au fermier sortant les dépenses qu’il a faites pour l’amélioration du sol, la vente du tenant-right aurait peu d’inconvéniens, et la valeur en serait relativement fixée sans grande difficulté ; mais il s’agit de la cession du droit d’occupation, du droit de copropriété du tenancier, et cette vente peut, dans la pratique, conduire à de singuliers abus et finir par déjouer les généreuses intentions des promoteurs du bill.

Au lieu d’être toujours en naturelle connexité, les deux termes d’ordinaire associés dans la formule des trois f, le fair rent et le free sale, la rente équitable et la libre vente du tenant-right peuvent souvent se trouver en conflit et s’exclure mutuellement. Un lord d’Irlande en a fait la remarque dans une lettre au Times[1]. Le free sale, si on ne lui impose des limites, doit détruire le fair rent, car si le tenancier est libre de vendre son droit d’occupation, il le vendra le plus cher possible à un successeur qui souvent sera hors d’état de servir à la fois la rente du propriétaire et l’intérêt du capital versé à l’ancien tenancier. Qu’importe que l’état fixe à bas prix la rente du sol si, pour la jouissance de son champ, le laboureur paie d’ailleurs une lourde redevance à son prédécesseur ? Un des reproches faits au bill, c’est qu’en restreignant le droit des landlords, il tend plus ou moins à les désintéresser de la terre, à les transformer en simples toucheurs de rente et, par suite, en parasites. Or la libre vente du tenant-right tend à créer à la longue, au-dessous des landlords actuels, une seconde classe de toucheurs

  1. Lord Dunraven ; Times, 13 avril 1881.