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il y avait assurément dans ces doléances une part de vérité, et le gouvernement officiellement chargé de la cure de pareilles plaies a pu, faute d’autres remèdes, se croire autorisé à recourir à la dangereuse panacée de l’intervention de l’état. Cette ingérence du reste, les ministres n’ont cessé de le répéter, ne doit pas s’exercer dans un seul intérêt, elle doit respecter à la fois les droits des deux parties : si la cour spéciale peut diminuer la rente là où l’avarice du landlord l’a portée à un taux exagéré, la même cour peut relever la rente là où l’intimidation de la landleague ou des sociétés secrètes l’auraient abaissée outre mesure aux dépens du landlord. Les deux classes en lutte pourraient ainsi se féliciter également d’avoir trouvé dans l’état un arbitre impartial. Peut-être cependant, au lieu de déférer à une cour de justice la fixation du taux normal des redevances, M. Gladstone eût-il mieux fait de ne laisser intervenir l’état et le juges qu’en cas de désaccord des intéressés.

Avec la rente équitable (fair rent), ce que réclame avant tout pour le tenancier la formule populaire des trois f, c’est la fixité de la tenure. Ce point, consacré en fait par la coutume de l’Ulster[1], n’est pas expressément mentionné dans le bill ; mais dans la pratique cette fixité est indirectement garantie au tenancier, aussi longtemps du moins qu’il acquittera la rente fixée par la cour spéciale. Comme le bill interdit l’éviction simple, l’expulsion du tenancier, entraînant le rachat du tenant-right, ne sera autorisée qu’après de longues et dispendieuses formalités.

Quant au troisième et dernier terme de la formule des trois f, free sale, il occupe une grande place dans le bill déposé par M. Gladstone. Ce free sale, libre vente, nous l’avons dit, s’applique moins à la terre elle-même qu’au tenant-right. Sous ce nom ce qu’on demande pour le fermier, c’est la faculté de céder librement à autrui son droit de copropriétaire du sol. Cette faculté était encore admise dans la pratique par la coutume de l’Ulster, qui à quelques égards a servi de type ou de modèle au bill agraire. Dans l’Ulster, la plus prospère, on le sait, des quatre grandes provinces de l’Irlande, le tenancier pouvait, si cela lui convenait, vendre à autrui son tenant-right ou son droit d’occupation, mais pour cela il devait avoir le consentement du landlord. Si la coutume ne permettait pas à ce dernier de refuser capricieusement son approbation, elle n’autorisait pas non plus le tenancier à se substituer vis-à-vis du landlord un homme sans moralité ou sans moyens d’exploiter la terre. Bien plus, la coutume de l’Ulster ne permet pas toujours au tenancier d’accepter de son successeur le prix le plus élevé qu’on

  1. Voyez par exemple : Systems of Land tenure in varions countries, publication du Cobden Club, 3e édition, pages 34, 35.