nommerai tout à l’heure quand j’aurai épuisé ma citation : « Rien ne ressemble moins que nous ; aux marquis couverts d’habits brodas et de grandes perruques noires coûtant mille écus qui jugèrent vers 1670 les pièces de Molière et de Racine. Ces grands hommes cherchèrent à flatter les goûts de ces marquis et travaillèrent pour eux. Il faut désormais faire des tragédies pour nous, jeunes gens raisonneurs, sérieux, de l’an de grâce 1823. Ces tragédies doivent être : en prose de nos jours, le vers alexandrin n’est le plus souvent qu’un cache-sottises ; les règnes de Charles VII, du noble François Ier doivent être féconds pour nous en tragédies nationales ; mais comment peindre avec quelque vérité les catastrophes sanglantes narrées par Commynes et la Chronique scandaleuse de Jean de Troyes, si le mot « pistolet » ne peut absolument pas entrer dans un vers tragique ? » Et là-dessus il se met à railler les poètes tragiques du moment, qui se bornent à copier leurs devanciers, « au lieu d’imiter la nature, qui seule est classique : être clair, être simple ; être vivant, aller droit au but, voilà la formule. J’aime mieux encourir le reproche d’avoir un style heurté que celui d’être vide. » Et loin de chercher à capter les bonnes grâces de ses lecteurs, il s’efforce de les prémunir contre les illusions : « J’invite à se méfier de tout le monde, même de moi. Ne croyez jamais qu’à ce que vous avez, vu, n’admirez que ce qui vous fait plaisir et supposez que le voisin qui vous parle est un homme payé pour mentir. »
Qui donc s’exprime ainsi ?
C’est Stendhal, eh quoi ! Stendhal, un romantique, et, qui plus est, un romantique convaincu, militant, acharné, lui l’auteur de la Chartreuse de Parme, lui dont on revendique à si beaux cris l’autorité ! L’esprit de parti a de ces contradictions. On sent le besoin d’une force ostensible quelconque pour s’y appuyer ; ne pouvant se nommer soi-même, on se choisit parmi les morts, toujours moins encombrans que les vivans, un chef illustre, un grand ancêtre sous l’enseigne duquel on achalandera sa propre boutique et l’on oublie que cette force même est un antagonisme et qu’en cherchant à l’embrigader, on réhabilite les tendances d’un passé mis hors la loi. Flaubert aussi fut- un romantique et quel romantique ! un nomenclateur émérite de l’école des Orientales, un imagier passé maître et ne trouvant jamais de colorations assez hardies pour ses dieux bizarres, leurs temples, leurs pagodes et les animaux extravagans qui les habitent ! il n’y a que romantisme chez Flaubert, un romantisme perverti, dépravé, préoccupation continue, absolue de l’art pour l’art, science de la forme dans le néologisme et le barbarisme du langage, propos délibéré de faire de la composition et de la symétrie dans le chaos, d’être, comme on disait alors, « littéraire » à travers des fantasmagories d’idéalisme et de sensualisme, des