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chercher en dehors de la question purement littéraire. Le mouvement fut magnifique ; fleurs et fruits, il a tout donné d’abondance et de profusion ; l’unique reproche qu’on puisse lui faire, c’est d’avoir tourné court. À qui s’en prendre du contre-temps, et pourquoi mettre en cause les hommes quand les circonstances seules sont responsables ? Nécessaire, on peut le croire, au développement des idées en Europe, la révolution de juillet fut un grand mal pour nos affaires littéraires du moment, Le romantisme, lancé à toute vapeur, vint s’y heurter, et s’il n’y périt pas corps et biens, il subit du coup mainte avarie. Nombre de forces sur lesquelles l’art et la science avaient à compter furent détournées de leur voie ; on prit les philosophes, les historiens pour en faire des ministres, les poètes entrèrent à la chambre, et ceux dont l’ambition ne chercha pas à se contenter, atteints eux-mêmes à leur tour de l’épidémie régnante, ne travaillèrent plus que sous l’influence d’une surexcitation nerveuse continue. De 1831 à 1847 s’opéra cette infiltration de la politique et de l’humanitarisme, qu’il est permis de regretter, mais sans parler d’avortement.

Il semble que chez nous toute chose doive être œuvre de parti ; de même que nous avons vu jadis Rachel se vouer aux classiques contre les romantiques, nous voyons aujourd’hui les naturalistes partir en guerre. Et de quoi se plaignent-ils ? Est-ce de ce qu’on a émancipé, élargi, régénéré le style, de ce qu’on leur a fait cette langue vivante et colorée qu’ils écrivent dans leurs romans et dont ils se servent dans leur critique pour amoindrir une génération qui leur a mis en main l’instrument de progrès ? Ne vaudrait-il pas mieux laisser au passé sa part de gloire et se contenter soi-même de bien mériter du présent ? Ces mots fameux d’idéalisme, de réalisme et de naturalisme ne sont point, après tout, si gros d’antagonisme, qu’on voudrait nous le faire croire. Un art qui serait exclusivement idéaliste ou naturaliste ne se conçoit pas. L’extatique et séraphique fra Angelico lui-même est un naturaliste lorsqu’il prête aux plus naïves, de ses images les attitudes de la vie, et, par contre, une œuvre d’art d’où serait absent tout idéal cesserait d’être une œuvre d’art. En ce sens, Téniers et Paul Porter sont des idéalistes, et s’ils ne l’étaient, vous ne tiendriez pas dix minutes devant leurs tableaux ; car ce qui vous intéresse et vous captive, volens, nolens, c’est l’interprétation, l’âme du maître, son idée et non pas la simple reproduction photographique, L’art est la vérité choisie. Si le premier mérite de l’art n’était que la peinture exacte de la vérité, le panorama serait supérieur à la Descente de croix. Il n’y a dons là qu’une question de plus ou de moins.

Quant à séparer les deux principes, on n’y saurait songer. Un arbre, un animal, un pan de mur a son individualité, et s’il me