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sera jamais qu’un homme inférieur, réservé à une existence médiocre.

Privé de récréation, privé de promenade, privé de sortie, j’étais souvent malade au collège ; malgré la fièvre, les jours d’infirmerie étaient des jours de bonheur. Là du moins nous vivions sous la maternelle direction de deux sœurs de l’ordre de Sainte-Marthe, dont l’une, sœur Adrienne, était charmante, et nous ne redoutions pas d’être punis parce que « nous tournions la tête, » parce que nous causions, parce que nous laissions tomber notre livre, parce que nous nous mouchions bruyamment. Il y avait pour les convalescens un grand préau planté d’arbres, où était installée la gymnastique. J’y ai passé bien des heures couché sur le sable, perdu dans une rêverie dont l’intensité m’enlevait à tout contact extérieur, revoyant les prairies des bords de la Sarthe, où j’avais accumulé les planches de mon radeau et m’en allant dans l’île déserte où j’aurais voulu vivre. Là, en plein air, sous le soleil, ces songeries avaient quelque douceur, mais elles devenaient intolérables lorsque j’en étais saisi, par contraste, dans les cabanons des arrêts. C’était la punition suprême avant l’expulsion ; je ne l’évitai pas. Tout en haut du bâtiment où loge le proviseur, un petit escalier noirâtre donne accès dans un corridor percé de portes de chêne armées de verrous en fer. Chacune des portes ouvre sur une chambre étroite, dont les murs ne sont pas recrépis, dont la lucarne oblitérée aux trois quarts par une maçonnerie grossière est munie de barreaux. Une table et un tabouret de bois fixés sur une tige de fer occupent le milieu de la pièce. C’est une prison, une vraie prison. Les cellules de Mazas, de la Santé, de la Conciergerie, dans lesquelles on voit clair et dans lesquelles on n’a pas froid, sont des boudoirs, si on les compare aux cabanons de Louis-le-Grand. Un tuyau de poêle traversait toutes ces chambres à la hauteur du plafond et n’y répandait qu’une chaleur dérisoire. Ces cachots servaient de cellules de punition aux détenus politiques pendant la terreur ; on y plaçait les prisonniers récalcitrans. C’est dans une de ces cellules que le marquis de Saint-Huruge était enfermé au 10 thermidor ; il put desceller les barreaux et grimper sur le toit. Une femme qui était à sa fenêtre, rue Saint-Jacques, l’aperçut, et lui montrant sa robe, lui montrant une pierre, parvint à lui faire comprendre que Robespierre venait d’être guillotiné. De sa voix de stentor, Saint-Huruge cria la bonne nouvelle aux détenus qui se promenaient dans les cours. Il y eut une telle clameur de joie que les gardiens crurent à une révolte et coururent aux armes.

Les révolutions, qui ouvrent la porte des prisons, n’ouvrent pas celle des arrêts. J’y étais pendant l’émeute de 1832 ; j’entendais