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dit-on, se baigna Hélène. Il y a aussi, à égale distance de la ville, mais au nord, un rocher taillé en plate-forme par la main humaine. On l’appelle l’École d’Homère. Les Chiotes croient fermement qu’Homère, né à Chio, comme on sait, à moins que ce ne soit à Smyrne, à Rhodes, à Colophon, venait là réciter ses poèmes. Ce roc porte sur une de ses faces quelques reliefs informes, quelques traits vagues. Chandler en a fait un bas-relief représentant une Cybèle entre deux lions ; Pococke prétend que c’est un Homère entouré de deux muses ! On peut, à la vérité, voir sur ce rocher tout ce que l’on veut, attendu qu’on n’y voit rien du tout. Le célèbre monastère de Néamoni, où habitent cent cinquante moines, novices et serviteurs, est surtout remarquable par sa situation pittoresque. Bâti sur un escarpement rocheux de 200 mètres, à peu près à mi-côte du mont Provato, il domine des vallons verdoyans et la plaine des orangers, et plus au loin, la ville, la mer, la côte d’Asie. Au centre des constructions édifiées en style de forteresse, avec tours et murailles crénelées, s’élève l’église. L’intérieur brille du luxe somptueux des églises byzantines : colonnes de marbre et de jaspe, mosaïques à fond d’or, lustres, torchères et iconostases de vermeil, portes de bronze doré.

L’île de Chio compte environ soixante-quinze villages, dont quelques-uns ont jusqu’à trois mille habitans. Nénita, Kalamoti, Mesta, vingt autres bourgades vivent de la récolte du mastic. A Chymiana, à Néochori, on cueille les oranges, les olives, les figues, les amandes, les citrons, les fèves. A Vrontado, à Langada, à Cardamila sont les marins, — caboteurs et pêcheurs. Les habitans de Volisso élèvent des porcs, qu’ils nourrissent avec des olives et des fruits. A Armolia, il y a une fabrique de poteries de terre, qui n’ont pas, il faut l’avouer, la réputation de durer longtemps. C’est pourquoi on a coutume de dire dans l’île au mari qui se plaint de sa femme : « Il fallait la prendre à Armolia. » La vigne, le coton, le blé, l’élève des vers à soie font vivre les autres villages. La ville a les tanneries, les confiseries, les moulins à eau, et tire ses plus gros revenus de la banque et du commerce avec tous les ports de la Méditerranée. Partout dans l’île enfin règnent ou plutôt régnaient hier encore le travail et la prospérité.


IV

Le dimanche 3 avril 1881, la population de Chio se reposait des travaux de la semaine. L’atmosphère était lourde, bien que le thermomètre ne marquât pas plus de 20 degrés ; le vent soufflait du sud. Le ciel était couvert, et parfois, à l’horizon, de pâles éclairs