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les paysans chiotes, bien que parlant un bon grec, ne lisent pas les auteurs anciens. La culture du mastic exige des soins constans. Ces arbustes ne se reproduisent pas par leurs graines ; les Chiotes les multiplient en les provignant. Au mois de juin, on pratique des incisions sur le tronc et sur les branches. La gomme s’échappe des blessures, coule en larmes le long du tronc et vient former au pied un cercle de résine blanchâtre. En septembre, les paysans arrachent la résine qui est restée attachée à l’écorce ; c’est la plus précieuse. Ils ramassent ensuite celle qui est tombée au pied de l’arbre ; la terre qui y adhère se détache en séchant. On exporte le mastic à Constantinople, à Smyrne, dans les grandes villes des deux Turquies. Les femmes trompent l’ennui des harems en mâchant cette pâte parfumée ; brûlé dans des cassolettes, le mastic répand une odeur agréable. Une grande partie de la récolte sert à la distillation. Dissous dans l’alcool, le mastic fait une excellente liqueur, dont la saveur tient à la fois de l’anis et de l’absinthe. C’est presque la seule liqueur qu’on boive en Grèce et en Turquie. On vend aussi en Occident de l’eau-de-vie de mastic. Mais ceux qui en ont bu en Grèce n’y retrouvent point le fin arôme dont ils ont gardé bon souvenir. Malgré les belles étiquettes en caractères grecs qui en décorent les fioles, cette liqueur au goût de vernis est sans doute fabriquée à Cette avec quelque abominable produit chimique.

Les villages de Chio, et principalement ceux du sud, ont un caractère étrange. On dirait des forteresses. Il n’y a pas de murailles proprement dites, mais les maisons, s’ouvrant seulement sur les rues intérieures et se reliant toutes entre elles par derrière, forment une sorte d’enceinte continue. Les deux issues de la rue centrale sont fermées par des grilles de fer. Cet appareil de défense, désormais sans objet, avait son utilité au temps de l’empire de Byzance et de la domination génoise, alors que les paysans étaient sans cesse sous le coup des descentes des pirates et des agressions des Arabes et des Turcs. Les Ottomans n’eurent garde de faire modifier ces procédés de construction. Ces villages fermés comme des prisons semblaient créés à souhait pour faciliter la surveillance des masticochorites à l’époque de la récolte.

Pas plus que la ville, les campagnes ne sont riches en ruines antiques ou byzantines. Quelques tours génoises, portant sculptées au-dessus de leurs portes béantes les armes des Justiniani, les assises de la cella du temple d’Apollon de Phanae, deux piliers d’un aqueduc romain, puis des fragmens de colonnes byzantines, de rares inscriptions : à ceci se borne le trésor archéologique. Parmi les souvenirs antiques, on montre, près de Sklavia (à deux lieues au sud-est de Chio) une source située en un site merveilleux où,