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« montagneuse et abrupte, » revenait à la mémoire. Mais, quand on approchait de terre, la nature changeait d’aspect. Dénudées à leur sommet, les montagnes abaissent vers la mer leurs pentes inférieures toutes couvertes de vignes, d’orangers, d’amandiers. La brise d’ouest en apporte les parfums jusque sur le pont du navire. Les yeux, brûlés par la réverbération du soleil sur la glace mouvante des eaux, baignent avec délices dans un horizon de verdure. La ville capitale (Chio ou Kastro) s’arrondissait en hémicycle autour du port, flanquée à son extrémité nord par la vieille forteresse génoise, qui enfermait tout un quartier dans ses épaisses murailles bastionnées ; à son extrémité sud par le cimetière turc, rempli d’arbres au feuillage sombre. Avec ses petites maisons blanches à toits de tuiles, que surmontaient d’espace en espace les pointes aiguës des minarets et les dômes bulbeux des églises, avec ses deuxièmes plans s’étageant en jardins fruitiers et ses troisièmes plans occupés par les montagnes, Chio formait un charmant panorama. Le cimetière et les jardins, qui s’avançaient jusqu’à la mer, donnaient l’illusion des terrasses de Gênes. Une fois descendu à terre, on se trouvait un peu déçu. Une ville construite à angles droits ; des rues étroites ; quelques hautes maisons de style froid et sévère, d’allure de forteresse, comme les palais florentins ; d’autres, en plus grand nombre, rebâties depuis les incendies, dénuées de tout caractère ; des églises et des mosquées méritant a peine un regard, c’est tout ce que le voyageur avait à voir à Chio. De ruines antiques, point. Des pierres sculptées, des morceaux de marbre, des fûts de colonnes, des fragmens d’architraves, des chapiteaux mutilés, il y en avait en abondance ; mais ces vestiges étaient engagés dans les constructions modernes.

L’enchantement commençait quand on quittait la ville. La plaine qui s’étend entre les faubourgs et les ramifications du mont Provato n’est qu’une vaste forêt d’orangers de près de six lieues carrées, où l’on récolte chaque année plus de cent millions d’oranges. Au sortir de la ville, un chemin allant du nord au sud se creuse dans cette forêt des Hespérides. L’espace d’environ 12 kilomètres, on marche entre deux lignes de murs au-dessus desquels se masse ou se découpe le feuillage varié de toutes les essences d’arbres à fruits. C’est le Kampos, ce sont les jardins et les maisons de campagne des Chiotes. Tels les grands négocians de Londres qui regagnent, leur journée finie, les cottages de Richmond et de Twickenham, ainsi les Chiotes riches passent le jour à leurs affaires, sur le port, dans les bazars, dans les bureaux, et, le soir venu, quittent la ville pour le Kampos. Des Grecs, originaires de Chio, mais habitant Syra, Smyrne, Constantinople, ont aussi des villas au