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Charles VII est le seul légitime lieutenant. Elle déclare formellement, dans sa lettre au duc de Bourgogne, que guerroyer contre la France, c’est guerroyer contre Jésus. Dès le début, elle montre par des signes non équivoques qu’elle entend donner à l’expédition dont elle prend l’initiative le caractère d’une guerre sainte. Voilà pourquoi la première sommation qu’elle adresse aux Anglais campés devant Orléans est datée du mardi de la semaine sainte. Voilà pourquoi elle impose à ses compagnons d’armes l’obligation de se confesser et de se corriger de leurs mauvaises habitudes avant d’entrer en campagne. Voilà pourquoi enfin elle se fait précéder par des prêtres chantant des hymnes et marchant sous la bannière de Jésus crucifié. La même pensée lui a dicté certains actes qui ont fourni matière aux accusations de ses ennemis, par exemple, l’assaut donné à Paris le 8 septembre 1429, malgré la double solennité du dimanche et de la fête de la Nativité de la Vierge. Quand on est fermement convaincu, comme l’était Jeanne, que l’on combat pour Jésus le bon combat, le plus saint jour est le meilleur.

En dépit des traits de ressemblance que nous venons d’indiquer, nous touchons ici le point essentiel par où Jeanne d’Arc, inférieure à Colette Boylet sous le rapport de l’orthodoxie, la dépasse de cent coudées si l’on compare ces deux femmes extraordinaires au point de vue de ce qui fait la véritable grandeur, c’est-à-dire la passion de la justice, le dévoûment à sa patrie, l’amour de l’humanité. Assurément, la réformatrice des clarisses aurait frémi d’horreur à la seule pensée de violer le repos dominical, de profaner par un assaut sanglant une fête aussi vénérée et aussi populaire que celle de la Nativité de la Vierge. C’est que pour elle on approchait d’autant plus de la perfection que l’on évitait avec plus de soin ce que l’église appelle le péché et que l’on adorait plus assidûment le Créateur. Dieu nous garde, surtout en un temps comme le nôtre où le culte de la matière tend à remplacer toutes les anciennes croyances, Dieu nous garde de méconnaître ce qu’il y a de sublime en même temps que d’étroit dans la vie mystique, cette poésie en action ! Il n’en est pas moins vrai qu’à force de contempler le ciel, à force de s’isoler dans la prière et de se laisser bercer dans l’extase, Colette avait fini par perdre de vue les misères de ce bas monde et par ne plus apercevoir qu’un petit coin de la terre. On éprouve un véritable étonnement, quand on parcourt sa correspondance, en voyant combien est borné le cercle où se renferment ses préoccupations. L’amour de Dieu, la prière, la pauvreté, l’humilité, la patience, le silence, l’observation stricte des règles monastiques, voilà ce qu’elle ne cesse de recommander à ses religieuses comme les seuls moyens infaillibles de gagner le paradis. On dirait que l’enceinte des couvens qu’elle a fondés ferme