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secondèrent surtout Jeanne dans cette campagne sur la Loire furent Louis de Bourbon, comte de Montpensier, et le sire d’Albret. Le comte de Montpensier était le fils cadet de Marie de Berry, duchesse de Bourbon, et Charles II, sire d’Albret, avait épousé Anne d’Armagnac, fille du connétable Bernard VII et de Bonne de Berry. Nous savons, d’un autre côté, qu’au moment du passage de Jeanne à Moulins, la réformatrice des clarisses habitait le couvent qu’elle venait de fonder dans cette ville. Comment supposer que la pieuse héroïne n’ait pas profité de cette occasion pour se recommander aux prières de la sainte, alors surtout que Colette et Jeanne avaient dans la duchesse de Bourbon une amie commune, qui dut mettre le plus grand empressement à faciliter leur entrevue ? Quoi qu’il en soit, lorsque la petite armée rassemblée dans la capitale du Bourbonnais, s’ébranla pour aller sous la conduite de la Pucelle, mettre le siège devant la Charité, Colette accourut à Decize, petite place forte, située un peu au nord de Moulins, dans une île de la Loire, où elle avait établi un monastère de clarisses dix ans auparavant. La coïncidence de son arrivée avec les mouvemens des troupes françaises, le pays d’où elle venait, que l’on savait être le quartier-général des gens d’armes levés pour le siège de la Charité, l’inquiétude même des religieuses ses filles, isolées et comme perdues au milieu d’un pays infesté par des bandes de partisans et livré aux horreurs de la guerre, tout cela finit par éveiller les soupçons des bourgeois de Decize, qui étaient attachés au parti anglo-bourguignon. Une nuit donc qu’ils avaient entendu la cloche du couvent sonner matines entre neuf et dix heures du soir, c’est-à-dire trois heures trop tôt, croyant reconnaître dans ce coup de cloche prématuré un signal convenu avec l’ennemi, ils se mettaient en mesure de faire un mauvais parti aux religieuses si Colette n’avait opéré, au rapport de ses biographes, un miracle pour sauver ses filles en avançant de trois heures toutes les horloges de la ville et même le lever du soleil. Quant à Jeanne, autant elle avait été heureuse devant Saint-Pierre-le-Moutier, autant elle échoua misérablement devant la Charité. Interrogée à Rouen sur le siège de cette dernière place, elle répondit qu’elle l’avait entrepris sans le conseil de ses voix. Serait-ce pour cette raison que, demandant de l’aide aux habitans de Riom dans une affaire où elle agissait de son autorité privée, elle n’a point voulu faire précéder sa lettre de la suscription consacrée JHESUS ?

La comparaison entre Colette Boylet et Jeanne d’Arc a cela de particulièrement intéressant qu’elle permet de saisir sur le vif les traits communs et aussi les contrastes entre la plus touchante héroïne de tous les temps et de tous les pays et l’une des plus grandes saintes du moyen âge. Sans aucun doute, la réformatrice