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parti comme une usurpation de l’un des pouvoirs publics ? Si l’on a créé deux assemblées, c’est apparemment pour qu’elles exercent leurs droits et remplissent leurs devoirs librement, dans les limites que leur trace la constitution. Les divergences mêmes des votes ont été prévues, acceptées comme la garantie de la maturité des délibérations législatives, et ces dissentimens, qui sont dans le jeu naturel des institutions, ne ressemblent nullement à ce qu’on appelle un conflit. On ne voit pas qu’on finit par s’exposer à un certain ridicule en criant perpétuellement au conflit, à l’attentat à propos de tout, à l’occasion du vote le plus légitime et le plus constitutionnel. — Que le sénat prenne la liberté d’augmenter ou de diminuer un crédit dans le budget, il est aussitôt accusé d’usurpation, il provoque un conflit ! Qu’il refuse de sanctionner un article de loi déguisant à peine une violation de la liberté de l’enseignement, c’est encore un conflit dont il prend la responsabilité et dont on le punit sur-le-champ en faisant beaucoup plus que ce qu’il avait refusé de ratifier ! Qu’il arrête maintenant au passage le scrutin de liste, qu’il vote pour le scrutin d’arrondissement, c’est toujours le conflit ! Il n’y a pas moyen d’y échapper. Qu’a-t-il fait cependant de si extraordinaire pour cette fois, ce sénat qu’on appelle gravement « révolutionnaire ? » Il s’est borné à maintenir la loi qui existe, une loi qui, en définitive, a produit la situation constitutionnelle d’aujourd’hui avec une majorité républicaine dans les deux assemblées ; il a simplement refusé de laisser passer une innovation que le pays ne semble guère avoir désirée jusqu’ici, sur laquelle la chambre des députés elle-même s’est partagée : voilà tout. N’importe, le sénat, à ce qu’il paraît, s’est gravement compromis en se mettant en révolte contre la volonté nationale ; il a laissé voir une fois de plus ses tendances réactionnaires et peut-être cléricales ! Les républicains du Luxembourg qui se sont prêtés à ce vote du 9 juin ont été les dupes ou les complices de leurs dangereux adversaires. M. le président Grévy lui-même, soupçonné de n’avoir pas été étranger au vote du sénat, n’a pas laissé d’être assez cavalièrement mis en cause et de se voir signalé comme le vrai représentant du gouvernement occulte et personnel. Bref, tout le monde a été suspect, M. le président de la république pour ses connivences avec les partisans du scrutin d’arrondissement, le ministère pour sa neutralité, le sénat pour son vote de conflit, et après tant de choses extraordinaires résumées dans cette « mémorable » journée du 9 juin, il ne restait plus évidemment qu’à laisser entrevoir la menace ou la possibilité de la suppression du sénat, de la révision de la constitution ! Il n’y a qu’un petit inconvénient pour la réalisation de tous ces projets des beaux esprits révolutionnaires, c’est qu’il n’y a pas plus d’émotion vraie dans le pays pour le scrutin de liste qu’il n’y a de conflit entre les deux assemblées. Toutes ces exagérations jurent avec la placidité publique, et le meilleur moyen de rejeter étourdiment la France dans l’inconnu,