Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la situation, comme on sait, aux environs de 1770, ne laissait pas d’être assez embarrassante ; les grands hommes, — d’Alembert, Diderot, Grimm, d’Holbach même, et Suard, — n’avaient pas sans doute le temps de lui répondre, et s’il est une chose au monde qui lasse promptement, c’est d’envoyer de Naples à Paris des lettres qui demeurent sans réponse : au bout d’un an, de moins d’un an, la seule Mme d’Épinay restait vraiment fidèle au souvenir de Galiani.

Une chose surtout m’étonne dans cette Correspondance, et que je signale d’abord pour n’avoir plus à y revenir : c’est le ton que Mme d’Épinay laisse prendre à Galiani. Ce n’est pas de la liberté seulement, c’est de la licence, « des indécences incroyables, a dit Sainte-Beuve, même dans le siècle de Voltaire et de Diderot, et qui n’ont de précédent que chez Rabelais. » Mais Rabelais n’écrivait pas pour les femmes ; surtout il n’écrivait pas aux femmes. L’abbé semble croire, en vérité, qu’une indécence est toujours spirituelle, et qu’à défaut d’autre moyen d’égayer ses anciens amis, une grossièreté doit toujours être admirablement reçue. Serait-ce là, par hasard, ce que quelques-uns de ses admirateurs, MM. de Goncourt, par exemple, ont appelé dans le temps « simplicité de bien dire, » naturel, « absence de prétention et d’effort ? » Je n’ai garde, assurément, de le croire. Mais il faut convenir alors que l’erreur est singulière. Si jamais Galiani passe pour naturel, c’est que nous aurons perdu les vrais noms des choses, et les mots de « prétention » ou de « préciosité, » de ce jour, auront cessé d’avoir un sens.

Ce que je constate, c’est que, s’il a de l’esprit, il le sait, et qu’il écrit pour le montrer : mauvais moyen d’être naturel, mais moyen sûr d’être guindé. « Voilà de l’esprit, et des saillies, et des bons mots, et du caustique pour l’assaisonner comme de coutume. » Eh non ! l’abbé, vraiment non ! ni tant d’esprit, ni tant de caustique. Moins de bons mots que d’envie d’en dire ; et moins de saillies que de vilains calembours, ou médiocres à tout le moins : « Il y a bien plus de pierres et de pierrailles qu’on ne pense dans ce monde ; nous tenons cela de famille, car nous descendons, ne vous en déplaise, de ces pierres que Deucalion et Pyrrha se jetaient derrière les épaules. Et c’est peut-être depuis cette époque que se jeter la pierre est devenu un acte humain. » On ne fait pas plus pédantesquement l’agréable. Et encore :


Venons à présent à vos plaintes sur les amitiés liées avec les étrangers. Vous avez tort de vous en plaindre. Tout est étranger en ce mon de, car tous s’en vont avec la mort. Les étrangers ont cela de commode qu’ils partagent en deux le regret. On en sent la moitié lorsqu’ils s’en vont, et, quoique absens, ils ne sont pas entièrement perdus ; .. s’ils viennent à mourir, la douleur tombe sur ce reste d’existence perdue, et qui