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avait été vif d’y débarquer. Sa lettre à Tanucci, du 29 mai 1769, est bien amusante. « Je dois dire à Votre Excellence que le jour où je reçus la lettre du roi, je ne pus ni dîner ni souper. La nuit j’eus la fièvre avec de fortes convulsions… Depuis l’appétit n’est pas revenu, ni les forces, ni le sommeil, et voici le quatrième jour qu’il m’est impossible de manger. Hier encore, j’ai eu la fièvre, avec de nouvelles convulsions… » On aimera mieux sa lettre à d’Alembert, où le désordre de son esprit et la sincérité de son chagrin sont visiblement tracés dans l’incorrection de son style. Il aimait beaucoup d’Alembert « parce qu’il ne ressemblait à aucun Français, qu’il avait plutôt les défauts et les qualités d’un Italien, et qu’il ne faisait de ses compatriotes qu’une médiocre estime. » C’était encore un bon « bouffon » nous apprend-il quelque part ailleurs, « pantomime et polisson. »


Je vous fais, mon cher d’Alembert, mes adieux. Je n’ai pas eu le courage de prendre congé de vous ; ce sont des momens terribles pour un cœur sensible de se séparer pour toujours de ses amis et des personnes qu’on aime et qu’on estime et honore, et qui ont fait le bonheur de ma vie pendant mon séjour dans ce pays-ci. Adieu, mon ami, je vous écrirai, et j’espère que vous me donnerez quelquefois des nouvelles de votre santé et me direz quelque chose du courant des sciences. Au moyen de quoi je pourrai encore croire de n’être pas encore sorti de ce monde. Adieu, mon cher ami, souvenez-vous de moi dans vos charmantes sociétés ; j’aurai toujours dans mon cœur le souvenir d’un ami si digne et si respectable. Vale.


Cette lettre fait honneur à l’abbé. Dirai-je que je donnerais bon nombre de ses lettres, « sublimes » ou « caustiques, » c’est ainsi qu’il les qualifie lui-même, pour quelques billets de ce l’on et de ce style, au prix de cette incorrection, que dis-je, pour ce qu’il y a de franc et de touchant dans cette incorrection même ?

MM. Lucien Perey et Gaston Maugras nous ont ici tracé, dans leur introduction, un joli crayon de la société napolitaine à l’époque où y retomba Galiani. Ils l’ont fait avec quelques traits, fort heureusement choisis, empruntés en partie d’un journal de voyage inédit de Mme de Saussure et en partie des dépêches de M. de Bérenger, chargé d’affaires de France à Naples. Nous y renvoyons le lecteur. Je crois volontiers, d’après eux, que Galiani dut avoir quelque peine à se refaire aux habitudes, aux mœurs, aux usages de ses compatriotes. Il essaya, pour tromper ses regrets, d’entretenir une vaste correspondance avec ses amis de Paris. Mais quoi ! Mme Necker ne parut pas goûter beaucoup le badinage un peu grossier de l’abbé ; Mme Geoffrin était tout occupée de son roi de Pologne, Stanislas Poniatowski, dont