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sa voix, mal écoutée de ses compatriotes, ne dût prendre quelque autorité que de nos jours seulement, c’est l’auteur de la Scienza nuova, l’illustre Jean-Baptiste Vico. Longtemps après, lorsque chez le baron d’Holbach, on entendra Galiani soutenir que l’histoire n’est qu’un perpétuel recommencement, « une répétition périodique des mêmes faits, sous d’autres formules et d’autres manières de parler, » visiblement il ne fera que se souvenir des leçons, des conversations peut-être ou des théories de Vico.

Les Italiens sont précoces. Galiani débuta, vers l’âge de dix-sept ans, par deux mémoires académiques, l’un sur l’Amour platonique et l’autre sur l’État de la monnaie à l’époque de la guerre de Troie. Trois ans plus tard, il donnait un Traité de la monnaie. Le succès de ce livre, — dont j’ai lu quelque part qu’encore aujourd’hui les Italiens faisaient presque autant de cas que du livre fameux de Beccaria, — lui valut une mitre, un bénéfice de 500 ducats et le droit de porter des bas violets. Il ne fut jamais, toutefois, qu’un ecclésiastique médiocre. Un jour, on essaya, paraît-il, de retourner son titre d’abbé contre lui pour le perdre auprès de Tanucci. Son indignation s’éleva presque à l’éloquence. « Io ecdesiastico ? écrit-il à Tanucci, proh deormn hominumque fidem ! » Il continua toutefois de cumuler des bénéfices. « Les feux de l’aurore, a dit Vauvenargues, ne sont pas plus doux que les premiers regards de la gloire. » L’auteur du Traité de la monnaie l’éprouva. C’est une promenade triomphale qu’au mois de décembre 1751 il commence à travers l’Italie. On le voit à Rome, où le pape Benoît XIV le reçoit admirablement ; on le voit à Florence, où les académies se l’associent ; on le voit à Venise, à Pacioue, à Turin, loué partout et partout fêté. Evviva ! evviva ! evviva ! comme il s’écrie lui-même en ses heures de gaîté. Vaniteux quand il partit de Naples, il y revint suffisant. Heureusement que ce qu’il y a d’invinciblement déplaisant dans la suffisance était tempéré chez lui par un goût naturel pour la bouffonnerie.

On sait sa dissertation sur les pierres du Vésuve. Il s’avise un beau jour de les ramasser, il les étiquette, il les décrit, il les classe, il les emballe et les adresse au pape avec ce mot de lettre : Beatissime Pater, fac ut isti lapides panes fiant. Benoît XIV entendait la plaisanterie, tout pape qu’il fût ; il s’empressa de conférer au donateur un second bénéfice, de 400 ducats. Ce que j’aime de Galiani, c’est qu’il est bien libre, bien net, et bien dépouillé de toute espèce de scrupule. Ses bénéfices sont en Italie, mais du fond du salon de Mme Geoffrin il ne s’en moquera pas moins agréablement des bénéficiers français, « qui ne résident pas. » D’autres honneurs, plus laïques et non moins lucratifs, n’allaient pas tarder