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mère de Philippe le Bon, Marguerite de Bavière, duchesse de Bourgogne, n’était jamais plus heureuse que les jours où elle recevait en son château de Rouvres la supérieure générale des couvens d’Auxonne et de Poligny, dont elle fit sa conseillère préférée pendant les années qui précédèrent ou suivirent immédiatement le meurtre de son mari sur le pont de Montereau. D’un autre côté, si Marie de Berry, duchesse de Bourbon, fonda en 1422 et 1423 deux monastères de pauvres clarisses, l’un à Moulins, l’autre à Aigueperse, petite ville voisine du château ducal de Montpensier, ce fut surtout afin de pouvoir jouir fréquemment de la société de Colette, qui vint passer plusieurs années en Bourbonnais et en Auvergne pour y installer ces deux nouvelles colonies monastiques. Les plus éminens parmi les princes de l’église lui prodiguaient les marques de déférence, et les pères du concile de Bâle inauguraient leurs délibérations en se recommandant à ses prières. Enfin, en 1435, alors qu’elle avait encore douze ans à vivre, la fille du charpentier de Corbie était déjà en telle odeur de sainteté qu’un prince du sang de France, qui, avait gouverné deux puissans royaumes, Jacques de Bourbon, roi de Hongrie, de Naples, de Sicile et de Jérusalem, déclarait par une clause spéciale de son testament tenir à honneur d’être enterré aux pieds de la réformatrice de l’ordre de Saint-François.

Un fait à noter, c’est que Colette, malgré son zèle de propagande, ne fonda jamais aucun couvent dans la partie de la France occupée par les Anglais ; et quoiqu’elle ait eu bien soin de se tenir à l’écart déjà mêlée des partis, dans la crainte de compromettre le succès de l’apostolat essentiellement religieux qu’elle avait entrepris, ce seul fait suffirait pour trahir ses véritables tendances politiques. Pendant les douze premières années de cet apostolat, de 1408 à 1420, soutenue par la protection de Marguerite de Bavière, femme de Jean sans Peur, elle n’exerce guère son action au-delà des limites de la comté ou du duché de Bourgogne et du Nivernais ; elle fonde successivement dans ces trois pays les couvens de Besançon en 1408, d’Auxonne en 1412, de Poligny en 1415, de Decize en 1419, de Seurre en 1422. La fondation du couvent de Moulins, en 1421, inaugure une nouvelle période où Colette fait pour ainsi dire la conquête des provinces restées soumises à Charles VII, surtout du Bourbonnais, de l’Auvergne, du Velay et du comté de Castres. C’est alors que, sans rien perdre de son crédit auprès de la duchesse de Bourgogne, elle devient en quelque sorte la directrice spirituelle de plusieurs princes et princesses de la maison de France, notamment de Jacques de Bourbon, comte de Castres, de ses deux filles, Jeanne et Marie de Bourbon, qui se firent bientôt religieuses colettines, de Marie de Berry, duchesse de