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elle avait pour les agneaux, les tourterelles, les colombes l’affection d’une sœur. Elle se faisait suivre partout d’un agneau qui l’accompagnait même à la messe et qu’elle avait dressé à s’agenouiller au moment de la consécration. Les beautés de la nature, où elle voyait un reflet de la splendeur divine, la touchaient profondément, et il lui suffisait d’entendre l’alouette, un de ses oiseaux de prédilection, chanter en montant dans les airs l’alleluia du printemps, pour qu’aussitôt son âme, comme fascinée par le lointain superbe de ce chant, s’envolât à tire-d’aile au plus haut des cieux. Lorsqu’elle voyageait soit à cheval, soit en chariot, le pas saccadé de sa monture, le ballottement du chariot, la plongeaient dans des extases ineffables, et il semblait alors à ses compagnes qu’elle planait dans les airs et que de sa bouche jaillissaient, ainsi que d’un soleil, des rayons de flamme. Elle parlait toutes les langues, elle lisait dans l’avenir, elle mettait en fuite les démons, elle rendait la santé aux malades, elle ressuscitait les morts. Au nom du Seigneur Jésus, saint Jean-Baptiste était venu l’épouser pendant qu’elle priait et lui avait passé au doigt un anneau d’or, gage matériel de cette union mystique. Dans une autre circonstance, il lui était tombé du ciel un crucifix enrichi de pierreries et contenant une portion de la vraie croix que l’on montre encore aux curieux dans le trésor des clarisses de Poligny. Un jour que Pierre de Reims, son confesseur, avait oublié de la faire communier, le Christ lui-même avait daigné réparer cet oubli en administrant de ses propres mains le sacrement de l’eucharistie à sa fidèle servante.

Une sainte qui recevait du ciel des faveurs aussi extraordinaires ne pouvait manquer de jouir d’un merveilleux crédit auprès des puissans de la terre. Marchant sur les traces de Catherine de Sienne, la sainte dominicaine du pape de Rome, Colette Boylet, la sainte franciscaine du pontife d’Avignon, se vit bientôt consultée comme un oracle, et les plus fiers potentats durent compter avec elle. Lorsque le fameux prédicateur catalan Vincent Ferrier vint en France à deux, reprises, non content de rendre visite chaque fois à l’abbesse de Besançon, il ne voulut point laisser ignorer que cette visite était le but principal de son voyage. Cheminant sans cesse de couvent en couvent à travers des pays infestés par les gens d’armes, jamais Colette ne rencontra un partisan assez hardi pour oser mettre la main sur elle. Au contraire, elle jouissait d’un tel prestige dans chacun des camps opposés qui se disputaient alors la France qu’il lui arriva de délivrer des sauf-conduits et d’assurer ainsi une protection efficace à certains voyageurs. Quoique la réformatrice des clarisses fût couverte de haillons et marchât toujours pieds nus, des princesses du plus haut rang se faisaient un titre de gloire d’être appelées ses filles. La femme de Jean sans Peur, la