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bon terrain, produira dès la seconde année le coût de sa mise en place.

J’ai déjà parlé d’affranchissement, et ne sais si tous mes lecteurs savent ce que signifie ce mot. Le voici : dans le cas de transforma- tion par la greffe d’une vigne française en une vigne américaine, le but désiré est l’enracinement du greffon américain, car ce seront ces racines américaines, émanées du greffon, qui donneront au greffon sa vie individuelle et résistante. Le greffon enraciné est affranchi de tout lien avec la racine française, puisqu’il ne dépend plus d’elle pour se nourrir ; quant au porte-greffe, sa sève n’étant plus absorbée, il succombe à son inutilité et au phylloxéra. Pour favoriser cet enracinement ou affranchissement, on greffe très profondément, on rechausse le plus possible et on détruit soigneusement les repousses françaises, qui absorberaient, au détriment du greffon, la sève du porte-greffe. Le contraire est à chercher quand il s’agit de racine américaine et de greffon français. Il faut favoriser le développement de la racine américaine et enrayer la formation des racines françaises, qui créeraient au greffon une vie provisoire, étouffant ainsi la racine américaine. On parvient à maintenir la racine américaine à son poste de porte-greffe en pinçant, à mesure qu’ils paraissent, les rejets américains, tandis qu’un déchaussage soigneux d’hiver permet de couper les racines françaises qui se forment les premières années. — Faute de cette dernière précaution, qui n’est en somme que l’ancien déchaussage pratiqué chaque hiver pour détruire les mauvaises herbes, drageons, et racines superficielles, j’ai vu mourir de belles souches greffées au moment où on croyait les voir produire. Ces faits, plusieurs fois répétés, ont semé la terreur chez ceux qui n’ont pas cherché la cause, tandis que l’arrachage leur aurait montré que le greffon s’était créé une vie individuelle et précaire sur des propres racines, et que le phylloxéra, se trouvant en présence d’une souche française sur racine française, avait repris ses droits. Quant au porte-greffe, il avait péri par refoulement de sève.

La plupart des objections soulevées contre le greffage de la vigne s’appliquent à la greffe en général et non à la greffe de la vigne en particulier. Celle-ci obéit nécessairement aux mêmes lois que la greffe en général dont un des caractères intrinsèques est le main- tien des individualités tant du porte-greffe que du greffon. En effet, leurs natures respectives ne réagissent pas l’une sur l’autre, et chaque espèce reste si bien ce qu’elle est que, si vous coupez la partie greffée, le porte-greffe repoussera ce qu’il était, tandis que les boutures prises sur le greffon seront de l’espèce du greffon. La greffe a une action purement mécanique ; la racine est une pompe