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et remettre le royaume en l’obéissance de Charles VIL L’entente cessa entre la jeune héroïne et son prédicateur ordinaire, lorsqu’à la fin de décembre 1429, frère Richard usa de toute son influence pour que l’on employât une illuminée qui s’appelait Catherine de la Rochelle. Jeanne, plus défiante, après avoir mis à l’épreuve la prétendue inspiration de cette illuminée, écrivit au roi que le fait de Catherine n’était que néant et folie. Cet incident prouve qu’elle ne se laissa jamais dominer par qui que ce fût. Dans le cas dont il s’agit, elle n’obéissait à aucun sentiment de jalousie ; mais on comprend qu’elle n’ait pu voir sans un certain dégoût, comme tous les génies créateurs, les vulgaires plagiats que suscitaient déjà les prodiges opérés par son initiative. A partir de ce moment, frère Richard cesse d’être mentionné parmi les personnes qui composent son entourage. La célèbre lettre qu’elle fit écrire aux hussites le 23 mars 1430, lors de son passage à Sully-sur-Loire, porte la signature de son aumônier frère Jean Pasquerel. Vers cette époque, frère Richard prêchait avec un grand succès le carême aux habitans d’Orléans, et le souvenir de Jeanne n’était sans doute pas étranger au bon accueil qu’il trouvait dans cette ville. Ce prédicateur populaire semble être rentré dès lors dans l’obscurité d’où ses relations avec la Pucelle l’avaient un moment fait sortir.

Du reste, la libératrice d’Orléans n’avait pas attendu sa rencontre avec le missionnaire franciscain pour adopter les pratiques religieuses que Bernardin de Sienne venait de mettre à la mode et que les cordeliers de l’observance travaillaient alors à répandre dans toutes les parties de la chrétienté. Par son ordre exprès, les mots JHESUS MARIA avaient été inscrits sur l’étendard qu’elle s’était fait faire avant de marcher au secours d’Orléans. Lorsque la Pucelle tomba devant Compiègne entre les mains des Bourguignons, on lui ôta du doigt une bague dont ses parens lui avaient fait cadeau probablement avant qu’elle les quittât, et cette bague portait aussi l’inscription JHESUS MARIA. Les lettres de Jeanne, celles du moins que nous possédons en original ou d’après une copie authentique et qui ont une véritable portée politique, donnent lieu à une observation analogue. Les sommations aux Anglais datées des 22 mars et 5 mai 1429, le billet envoyé de Gien le 25 juin suivant aux habitans de Tournay, le message transmis de Reims le 17 juillet à Philippe, duc de Bourgogne, la réponse au comte d’Armagnac, dictée à Compiègne le 22 août de la même année, la lettre comminatoire adressée aux hussites le 3 mars 1430, tous ces documens sont précédés de la suscription ou suivis de la souscription JHESUS MARIA. Interrogée à Rouen sur le motif qui l’avait poussée à faire précéder ainsi ses lettres des mots JHESUS MARIA, Jeanne répondit qu’elle s’était conformée en cela au conseil des gens