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est la transformation par la greffe, c’est aussi celui dont les résultats sont le plus prompts, car le sacrifice d’une année de vendange suffit pour assurer la résistance de la vigne transformée, et cela en lui conservant la fertilité due à son âge au profit de greffons américains. Le seul inconvénient sérieux, c’est la présence de la vigne française et le danger que ses vieilles racines phylloxérées constituent pour la jeune vigne indemne. Mais les avantages sont si grands qu’ils contre-balancent cet inconvénient, déjà très atténué si le greffon est d’espèce très résistante. L’estivalis dominera cette situation, à laquelle succomberait infailliblement le labrusca. La racine française nourrit le greffon avant de mourir, et cela assez longtemps pour qu’il s’affranchisse et se crée des racines résistantes.

Le second moyen définitif est la plantation de vignes américaines à produit direct, ou de porte-greffes greffés en espèces françaises. La vigne greffée a pour avantage une fertilité toute française et connue d’avance ; le produit direct celui d’une rentrée dans la culture normale. On peut arriver de cette façon à une récolte dès la deuxième ou la quatrième année de mise en place, selon qu’on aura planté d’abord en pépinière ou à demeure.

Enfin, la plantation dans le sable a une durée plus problématique, mais pour les heureux qui peuvent la pratiquer, c’est une source de fortune considérable.

J’avais, en 1872, 400 hectares de vignes prospères ; la présence d’une petite tache phylloxérique les condamnait à mort malgré leur belle apparence.

Les vignes de coteau dataient de 1802 et produisaient un vin excellent ; d’autres, en plaine, âgées de trente à quarante ans, produisaient une abondance de gros vins noirs, et enfin une excellente terre à blé de 13 hectares et demi avait été plantée, en 1868, en aramons et en carignanes, à l’exemple des nouvelles plantations de l’Hérault. Cette terre n’avait jamais porté de vigne : les gens du Gard, suivant par habitude les lois et usages de Louis XIV interdisant de cultiver la vigne dans les terres à blé, furent plus étonnés de voir des aramons et des carignanes dans cette terre de qualité légendaire qu’ils ne le furent depuis de la voir transformée en jacquez. Je dois ajouter que lorsqu’ils virent, en 1872, sortir 50 hectolitres à l’hectare d’une vigne de quatre ans et 150 hectolitres en 1875, leur enthousiasme fut tel qu’il n’est pas éteint encore, et quelques naïfs ont planté cette année des aramons pour le phylloxéra. J’insiste sur ce que cette terre portait de la vigne pour la première fois ; c’est un fait utile à noter pour ceux qui attribuent le phylloxéra à l’usure de la terre par une même culture arbusive, car c’est au centre de cette vigne que le phylloxéra a paru pour la première fois à Saint-Benezet ; et, au contraire, les