programme est commun aux deux sexes. Car en même temps que la passion du progrès et de la liberté, Condorcet a celle de l’égalité ; sous le rapport de l’instruction, il ne distingue pas entre l’homme et la femme. Il les soumet au même régime intellectuel ; il leur distribue la même nourriture, sans tenir compte de la diversité de leurs aptitudes et de leurs fonctions. Bien plus, cette nourriture, il entend qu’elle leur soit donnée en commun. Les sexes ne sont-ils pas à tout instant réunis dans la vie ? Pourquoi les séparer dans l’école ? Loin d’y perdre, les bonnes mœurs gagneront à ce contact journalier. Les sens en seront plutôt « amortis qu’excités. » D’ailleurs, « s’il arrivait que l’instruction fût écoutée avec trop de distraction par des élèves occupés d’intérêts plus vifs et plus touchans, ce mal serait plus que compense par l’émulation qu’inspirerait le désir de mériter l’estime de la personne aimée. » Ne souriez pas : l’idée de faire de l’amour un principe d’émulation n’appartient pas à notre girondin ; elle est d’un autre grand rêveur, de Rousseau. Seulement l’élève ici dépasse le maître. Rousseau veut bien qu’Émile aime Sophie, mais une fois ses jeunes gens épris l’un de l’autre, il a soin de les séparer ; il fait voyager Émile. Condorcet plus hardi, les laisse ensemble ; en quoi, peut-être, il est permis de trouver sa pédagogie singulièrement imprudente.
Toutefois ce n’est pas encore là qu’en est le vice capital. La partie véritablement faible du projet est celle qui traite de l’enseignement dans les instituts. Considérez ce programme : les instituts seront divisés en quatre classes : sciences mathématiques et physiques, sciences morales et politiques, application des sciences aux arts, littérature et beaux-arts. Il y aura dans la première classe un professeur de mathématiques pures, un professeur de mathématiques appliquées, un professeur de physique et de chimie expérimentale et un professeur d’histoire naturelle ; dans la seconde, un professeur d’analyse des sensations et des idées, de morale, de méthode et des principes généraux des constitutions politiques, un professeur de législation et d’économie politique, et un professeur de géographie et d’histoire philosophique des peuples ; dans la troisième : un professeur d’anatomie comparée, d’accouchement et d’art vétérinaire, un professeur d’art militaire et un professeur des principes généraux des arts et métiers ; dans la quatrième : un professeur de théorie générale et élémentaire des beaux-arts, un professeur de grammaire générale, un professeur de langue latine et, par exception « dans quelques instituts, » de langue grecque, enfin un professeur de langues étrangères. Soit, au résumé, deux professeurs et deux cours de lettres proprement dits sur quatorze. Voilà la part faite aux humanités dans ce programme d’enseignement secondaire. Dans sa prédilection pour les sciences positives, Condorcet ne va pas tout à