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interlope d’hommes et de femmes qui, à partir de la tombée de la nuit, y trône en souveraine. Naguère encore, les vagabonds et les voleurs étaient attirés dans ces quartiers par ces fameuses carrières d’Amérique qui leur servaient de refuge et qui ont même donné leur nom à l’un des quartiers du XIXe arrondissement. Aujourd’hui les carrières d’Amérique sont en grande partie comblées ; mais leurs hôtes se sont répandus un peu partout, et il n’est pas étonnant que ce levain putride de la prostitution et du vol ait contribué à corrompre la population. Nulle part également je n’ai rencontré d’aussi tristes exemples de dégradation morale. Je citerai un fait qu’on me pardonnera de rapporter malgré sa crudité. Le hasard m’a fait une fois accompagner un contrôleur de l’Assistance publique chez une femme qui, ayant perdu un de ses enfans à la suite d’une maladie, avait adressé à l’administration une demande de secours. Cette femme, à laquelle une boiterie permanente rendait tout travail difficile, avait son mari en prison et demeurait avec son père et un second enfant dans une toute petite chambre. L’exiguïté du mobilier et certains détails dans lesquels je n’entrerai pas ne nous laissèrent aucun doute, malgré ses faibles dénégations, sur la nature des relations du père et de la fille. Nous nous renseignâmes sur la conduite habituelle de la femme, et on nous apprit que, le jour où l’employé de la mairie s’était présenté pour constater le décès de son enfant, il l’avait surprise, dans la chambre même où reposait le petit cadavre, en compagnie de deux hommes. Ce qui m’a le plus frappé, c’est que cette femme n’avait l’air ni d’une impudente ni d’un monstre. Elle semblait prendre assez de soins de l’enfant qui lui restait, et son aspect humble, presque décent, n’avait rien qui au premier abord la distinguât de ses voisines. On sentait que c’était moins la perversité de sa nature que la détresse et l’abandon d’elle-même qui l’avaient précipitée dans cette fange. O misère ! misère !


III

J’en ai dit assez, peut-être trop, pour montrer dans quelles conditions déplorables est logé le pauvre à Paris. Je reviendrai plus tard sur ce qu’on pourrait appeler la question morale du logement. Je me bornerai, quant à présent, à compléter par quelques chiffres l’exposé de la situation matérielle, du mot d’abord sur le prix des loyers. Sur 46,815 locaux occupés par des indigens, 1,815 étaient loués, moyennant une somme inférieure à d 00 francs. Si l’on se souvient des deux logemens au-dessous de 100 francs que j’ai décrits (il est vrai que c’était dans le Ve arrondissement, où les loyers