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la dévotion au nom de Jésus que Bernardin de Sienne venait de mettre à la mode en Italie. Quoiqu’il ne nous reste aucun témoignage sur cette propagande, elle n’en est pas moins certaine. Nous savons que frère Richard s’y livra avec ardeur dans tous les pays qui furent le théâtre de ses prédications. Ce n’est pas seulement à Paris qu’il persuada à ses auditeurs, ainsi qu’on l’a vu de porter en guise d’amulettes des médailles frappées à l’empreinte du nom de Jésus. A Orléans, où il se trouvait avec le titre de « prêcheur de la ville » pendant le carême de 1431, nous lisons dans les comptes municipaux qu’un graveur, nommé Philippe ou Philippot d’Orléans, exécuta moyennant six saluts un « Jésus en cuivre » qui lui avait été commandé par frère Richard.

Dans ses pérégrinations à travers la Champagne, il avait soin de dire partout où il passait, comme il le répéta plus tard à Paris, qu’il arrivait de Jérusalem, et cette qualité de pèlerin des lieux saints ne devait pas peu contribuer à accroître encore le prestige de sa parole. Il en rejaillissait surtout une singulière autorité sur ses prédictions relatives à la prochaine venue de l’Antéchrist. Ces prédictions étaient l’un des thèmes favoris de son éloquence. Frère Richard y trouvait le levier dont il avait besoin pour pousser les fidèles à embrasser les pratiques de dévotion qu’il recommandait. Il y trouvait aussi l’occasion, de réveiller par d’adroites allusions dans l’âme de ses auditeurs des sentimens de patriotisme que la conquête anglaise n’avait pu éteindre. L’ordre auquel il appartenait avait été amené, par un concours de circonstances rappelé plus haut, à prendre parti en Italie aussi bien qu’en France pour la maison d’Anjou et par suite pour Charles VII, gendre de la reine de Sicile. Il prêchait en un moment où les projets financiers de Bedford venaient de soulever dans le clergé et surtout dans l’épiscopat une réprobation unanime. Les diocèses de Troyes et de Châlons, où il exerçait son apostolat, avaient pour chefs des prélats que leurs traditions de famille rattachaient étroitement à la cause française. L’évêque de Châlons notamment, Jean de Saarbruck, était l’oncle de ce damoiseau de Commercy, l’un des partisans les plus dévoués de Charles VII dans la vallée de la Meuse. Il ne faut donc pas s’étonner si frère Richard mit à profit le thème commode de la venue de l’Antéchrist pour lancer des citations à double entente et faire de la propagande en faveur du roi légitime. Il ne craignait pas d’annoncer à mots couverts aux fidèles qui se pressaient pour l’entendre la prochaine arrivée d’un libérateur. « Semez, leur disait-il, semez, bonnes gens, semez foison de fèves, car celui qui doit venir viendra bien bref. » De tels sous-entendus étaient facilement devinés par ses auditeurs, et l’on comprend l’action puissante que devait avoir sur des populations impatientes du joug anglais cette triviale