Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son ordre étaient dès lors et sont encore aujourd’hui, comme chacun sait, les gardiens du tombeau du Christ. Il y avait rencontré, ajoutait-il, des bandes de Juifs allant visiter à Babylone l’Antéchrist, né dans cette ville depuis nombre d’années et qui leur devait rendre bientôt l’héritage d’Israël. Brodant sur ce thème avec la fantaisie la plus audacieuse, il faisait retentir aux oreilles des Parisiens épouvantés la trompette du jugement dernier. Il parlait de l’année 1430 comme devant amener les plus merveilleuses choses que l’on eût jamais vues. En prévision de ces éventualités aussi prochaines que redoutables, il recommandait comme un infaillible moyen de salut la dévotion au nom de Jésus. Sur ses exhortations, les habitans de Paris avaient fait fabriquer et portaient partout avec eux des médailles de plomb où était gravé le monogramme du nom de Jésus. Quatre mois plus tard, ils mirent ces médailles en pièces ou les jetèrent dans la Seine lorsqu’ils apprirent que leur prédicateur de prédilection s’était ouvertement déclaré pour les Armagnacs et les venait assiéger en compagnie de la Pucelle.

Après ce que nous avons dit plus haut du mouvement religieux pendant le premier quart du XVe siècle, il est facile de reconnaître, tant dans les doctrines que dans les pratiques dont nous venons de donner le résumé, la double influence de Vincent Ferrier et de Bernardin de Sienne. La doctrine de l’Antéchrist était empruntée au premier, la dévotion du nom de Jésus au second. Du reste, frère Richard reconnaissait hautement pour maîtres ces deux hommes de Dieu et se proclamait avec fierté leur disciple. Il considérait Bernardin de Sienne notamment comme ayant plus fait à lui seul pour la conversion et l’édification des âmes que tous les prédicateurs des deus siècles précédens mis ensemble.

La mission prêchée dès la fin de 1428 dans les diocèses de Troyes et de Châlons nous est malheureusement moins bien connue que celle qui eut tant de succès à Paris aux mois d’avril et de mai de l’année suivante. Toutefois, comme il ne s’est écoulé entre la première et la seconde qu’un intervalle très court, il n’est pas douteux que frère Richard dut se montrer aux Champenois tel qu’il allait bientôt apparaître aux Parisiens. Vers l’Avent de Noël, c’est-à-dire pendant la seconde quinzaine de décembre, il réunit les fidèles autour de sa chaire à Troyes, puis à Châlons, et certaine recommandation relative à l’ensemencement des fèves, sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure, donne même lieu de croire qu’il se fit entendre aussi dans beaucoup d’églises rurales de la région comprise entre ces deux villes.

Le but principal et le résultat le plus important de cette mission fut certainement de répandre dans cette partie de la Champagne