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projette une si vive lumière sur la mission champenoise qui l’a précédé qu’on nous pardonnera d’en dire quelques mots.

Avant de se faire entendre dans la capitale du royaume où sans doute Jean l’Aiguisé l’avait appelé, frère Richard avait pris les diocèses de Troy es et de Châlons pour théâtre de ses prédications. Grâce a la connivence des évêques de ces deux diocèses, dont le dévoûment à la cause française n’attendait pour éclater qu’une occasion favorable, le missionnaire franciscain avait provoqué dès la fin de 1428, dans toute la Champagne méridionale et orientale, une sorte d’agitation où le sentiment patriotique se couvrit peut-être, comme il est arrivé souvent, du masque de l’exaltation religieuse. Entrepris pour ainsi dire à la veille du départ pour Chinon et dans un pays voisin de la vallée de la Meuse, ce premier apostolat n’a pu manquer, selon nous, d’exercer une influence au moins indirecte sur la mission de Jeanne d’Arc.

Frère Richard semble avoir réalisé l’idéal du prédicateur populaire. Il était doué au plus haut degré de cette verve entraînante qui maîtrise les multitudes. Servi par une voix puissante, il pouvait parler en plein air pendant toute une matinée sans ressentir aucune fatigue. Tour à tour sombre et jovial, impétueux et tendre, ce cordelier savait à merveille comment on captive et comment on retient l’attention de la foule. Pendant les trois semaines qu’il passa à Paris, frère Richard fit une dizaine de sermons, soit du haut de la chaire des églises, soit sur une estrade élevée au cimetière des Innocens ; et ces sermons, qui duraient depuis cinq heures du matin jusqu’à dix ou onze heures, n’eurent jamais moins de cinq ou six mille auditeurs. Apprenant un jour que le saint homme devait prêcher le dimanche suivant à Saint-Denis, ses admirateurs, au nombre de six mille, allèrent camper dès la veille près de cette ville à la belle étoile pour être plus sûrs de pouvoir assister à son sermon et pour ne rien perdre de ses paroles. Après l’avoir entendu tonner contre le jeu et le luxe, on vit les bourgeois de Paris et leurs femmes allumer à l’envi dans les rues plus de cent brasiers pour y jeter pêle-mêle, ceux-là leurs damiers, cartes, dés, billes et billards, celles-ci leurs atours de tête, bourrelets, crêpés, baleines, cornes et queues. Amener des Parisiennes à faire ainsi le sacrifice de leurs colifichets, y eut-il jamais plus beau triomphe oratoire et qui témoigne mieux combien l’éloquence du prédicateur était irrésistible ? Aussi, le mardi 10 mai, lorsqu’après la clôture des séances du concile le fougueux franciscain ne se crut plus en sûreté dans la capitale et prit le parti de s’en éloigner, chacun pleura, dit l’auteur du Journal d’un bourgeois de Paris, comme s’il avait vu porter en terre son meilleur ami.

Frère Richard disait qu’il arrivait de Jérusalem, où des religieux