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nous le montrerons tout à l’heure, l’influence de la dévotion au nom de Jésus propagée par Bernardin de Sienne, eut des armoiries personnelles, dont un chroniqueur de la première moitié du XVe siècle nous a donné la description. « Elle fit faire, dit le greffier de l’hôtel de ville de La Rochelle, au lieu de Poitiers, son étendard, où il y avait un écu d’azur, et un coulon (pigeon) blanc était dans cet écu, lequel coulon tenait un rôle en son bec où il y avait écrit : « De par le roi du ciel. » Il résulte avec évidence de ce curieux rapprochement que la Pucelle adopta pour ses armes personnelles les armes mêmes des jésuates ou colombins. On en peut conclure aussi, non-seulement qu’il y avait une parenté étroite entre les dévots de l’école de Bernardin de Sienne et leurs prédécesseurs les jésuates, mais encore que, de l’Italie, son berceau, la nouvelle dévotion se répandit en quelques années dans les autres contrées de l’Europe.

Il était impossible que des succès aussi prompts, aussi éclatans, n’éveillassent point la jalousie des autres ordres mendians et surtout de l’ordre des dominicains. Une lutte ardente s’engagea entre Mainfroi de Verceil et Bernardin de Sienne, entre l’antéchristisme et son antidote, la dévotion au nom de Jésus. Au commencement de 1427, Bernardin prêchait le carême à Viterbe, lorsqu’il fut invité par le saint-père à se rendre immédiatement à Rome pour y répondre à une accusation d’hérésie. On avait dénoncé au pape Martin V, comme entachée d’idolâtrie, cette dévotion aux images ou représentations matérielles du nom de Jésus que le pieux cordelier s’efforçait d’introduire. Les principaux auteurs de ces dénonciations étaient des frères prêcheurs et des ermites de Saint-Augustin, qui avaient compulsé avec le plus grand soin tous les écrits de Bernardin de Sienne afin d’y trouver des chefs d’accusation contre lui. Les cordeliers, comprenant qu’on les voulait frapper dans la personne du plus illustre d’entre eux, se levèrent tous comme un seul homme pour détourner le coup qui les menaçait. Jean Capistran et Mathieu Cimarra accoururent à Rome, où ils avaient à cœur de concourir à la défense de leur maître.

Capistran, dont la foi enthousiaste devait, trente ans plus tard, faire reculer devant Belgrade les hordes de Mahomet II, Capistran se trouvait alors à Aquila, sa patrie. Aussitôt qu’il apprend l’accusation qui pèse sur Bernardin de Sienne, il arbore une bannière où resplendit le nom de Jésus et décide sans peine un certain nombre d’habitans de sa ville natale à le suivre. En chemin, son escorte se grossit peu à peu de tous les fidèles zélés qu’il rencontre et qu’il entraîne sur ses pas. Lorsqu’il fait son entrée dans Rome, cette escorte est devenue une armée. Capistran, qui porte la sainte bannière, s’avance le premier, et ses prosélytes le suivent en chantant