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Je répète que les pèlerins latins sont beaucoup plus heureux que les pèlerins orthodoxes. Ils sont parfaitement reçus dans les couvens franciscains, et cela ne leur coûte que ce qu’il leur plaît de donner au départ à titre d’aumône. S’il leur plaît de ne rien donner du tout, on ne leur adresse pas la moindre réclamation. Je serais fort ingrat si je ne disais pas tout le bien que je pense de l’hospitalité franciscaine. Il n’en est pas de plus large, de plus simple, de plus libérale. On reçoit tout le monde au couvent de la Casa-Nova à Jérusalem, les protestans, les libres penseurs, les Grecs, les israélites aussi bien que les catholiques ; tout le monde est traité avec la même affabilité. Les logemens sont peu luxueux, mais rien de ce qui constitue le confortable n’y fait défaut. La table est frugale, mais très saine. Naturellement, en carême et surtout pendant la semaine sainte, on n’y sert que des repas maigres ; mais si l’on tient à faire gras, il suffit de le demander au supérieur, et l’on peut, même les jeudi, vendredi et samedi saints, avoir de la viande. On n’est exposé à aucune inquisition de conscience, à aucune intolérance. L’établissement est dirigé par un franciscain français, le révérend père Marie-Léon Patrem, homme de beaucoup de tact et d’esprit qui se dévoue à une tâche ingrate avec un zèle charitable qu’il est impossible de ne pas admirer.

Ce n’est pas ici le moment de parler de l’œuvre des franciscains en Palestine. Quelque opinion que l’on professe sur les pèlerins et sur les pèlerinages, sur Jérusalem et sur l’authenticité des lieux saints, on ne saurait s’empêcher de regarder cette œuvre comme un remarquable effort de courage, d’abnégation et de piété. Les franciscains sont arrivés en Palestine au moment où les croisades venaient de finir par la plus éclatante et, il faut le dire, la plus méritée des catastrophes, où les ordres de chevalerie avaient perdu toute puissance, où la terre-sainte, un moment arrachée à l’islamisme, était retombée plus complètement que jamais sous sa domination. La lutte ouverte n’était plus possible ; mais en profitant de l’avidité des Turcs, on pouvait reconquérir peu à peu, par la douceur et par d’innombrables sacrifices, sinon la Palestine elle-même, du moins les sanctuaires qui en font tout le prix aux yeux des chrétiens. Pour une mission pareille, à quoi bon des ordres militaires ? Il fallait un ordre purement religieux, décidé, non pas à se battre, mais à s’établir à Jérusalem, à s’y laisser persécuter, massacrer même, mais à y rester et à y gagner sourdement du terrain. C’est ce qu’ont fait les franciscains. Ils ont versé leur sang et leur argent à profusion autour du saint sépulcre, achetant sans cesse le droit de prier dans des sanctuaires vénérés et se voyant sans cesse arracher ce droit si chèrement payé avec une brutalité et une mauvaise foi pleines de cruauté. Rien ne les a lassés. Ils sont morts par