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Abruzzes, le second de la Sicile. Cette circonstance dut ajouter encore à l’effet produit par l’ardente parole de ces saints personnages lorsqu’on les vit entreprendre une sorte de croisade en faveur du prince angevin contre son impie rival resté l’unique défenseur du schisme qui déchirait l’église depuis un demi-siècle.

L’effet de cette propagande fut d’autant plus profond que, grâce à la connivence du pape Martin V, la politique angevine en Italie exploita à son profit, depuis 1420 jusqu’au 26 juillet 1429, date de la renonciation d’Alphonse V au schisme, l’un des mouvemens religieux les plus originaux et les plus puissans de la fin du moyen âge. Comme, en 1428 et 1429, l’agitation patriotique contre les Anglais mit à profit ce même mouvement dans notre pays, aussitôt que les cordeliers de l’observance l’y eurent propagé, il importe de l’étudier au-delà des monts, où l’on en trouve le point de départ, si l’on veut bien saisir l’étrange physionomie de frère Richard et remonter à la source de l’un des courans dont s’est alimenté le génie de Jeanne d’Arc.


II

Dès les premières années du XVe siècle, un dominicain catalan, le fameux Vincent Ferrier, avait remué l’église et agité les imaginations d’une indicible terreur. Il annonçait dans le style et avec le geste des anciens prophètes d’Israël la prochaine venue de l’Antéchrist. Les prédictions du saint homme avaient eu d’autant plus de retentissement dans les âmes que la chrétienté, déchirée au dedans par le schisme, menacée au dehors par les armes victorieuses des Turcs, saignait alors des plus mortelles blessures. Aussi, sous les foudres d’éloquence de ce sombre Espagnol, les angoisses de l’an mille avaient jusqu’à un certain point ressaisi le monde.

Après la mort de Vincent Ferrier, la doctrine qu’il avait prêchée avait retrouvé un interprète non moins puissant dans la personne d’un autre dominicain, nommé Mainfroi de Verceil. Vers 1420, ce dernier parcourait l’Italie septentrionale d’où il était originaire ; il se faisait suivre d’une foule en haillons que sa parole avait pour ainsi dire affolée. Tel était l’effet produit par ses prédications que les enfans abandonnaient leurs parens, les femmes leurs maris, pour s’attacher à ses pas. Il se présenta un jour à Florence, avec cette escorte, devant le pape Martin V, qui en fut effrayé et se hâta de prendre les mesures les plus sévères pour calmer cette effervescence.

Comme, Vincent Ferrier avait dit que l’Antéchrist était ne en 1403, les années qui se succédaient ne faisaient qu’accroître la terreur des populations. Cette terreur était arrivée à son comble en