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on la descend à la pierre de l’onction, puis on la promène je ne sais plus où jusqu’à ce qu’on la porte enfin en pompe et cérémonie au tombeau, où on feint de l’ensevelir ; ce sont les actes suivans, les péripéties et le dénoûment du drame. A chaque station, un franciscain, monté sur une chaise, sur une pierre, sur une corniche, sur tout objet qui se présente, adresse à la foule un sermon dans une langue nouvelle, italienne, espagnole, arabe, turque, persane, etc. Il faut subir en tout sept sermons, auxquels, à moins d’être polyglotte, on ne comprend pas un mot. Et fût-on polyglotte, on n’y comprendrait pas davantage, si j’en juge du moins par le sermon français, qui était tellement sublime que c’est encore celui dont le sens m’a le plus complètement échappé. Rien n’est aussi pénible d’ailleurs que de voir les moines, jouant avec une poupée divine, mettre à cette comédie dévote un sérieux qui n’est plus de notre âge. Ils ne touchent qu’avec des précautions infinies les membres du dieu de carton qu’ils crucifient, qu’ils arrachent du calvaire et qu’ils portent au tombeau. L’aspect général de la procession est beau et saisissant, Chaque fidèle porte un cierge qui répand sur les murs et sous les voûtes de la grande basilique une clarté mystérieuse ; la foule indigène est bigarrée des plus étranges couleurs ; elle s’accroche à tous les détails d’architecture ; on voit des femmes, des vieillards, des enfans pendre en quelque sorte des balcons et des frises, des jeunes gens s’attacher aux colonnes, des êtres informes, dans la demi-obscurité de la nuit, apparaître à tous les coins et recoins du temple. Un certain nombre de touristes anglais, mêlés à la masse populaire, sourient et narguent la cérémonie. Les reflets lumineux qui colorent ces visages produisent une impression fantastique. La procession roule et se déroule avec une lenteur imposante à travers tous les détours de l’édifice. Outre ces scènes nocturnes et extraordinaires, il y en a chaque soir d’ordinaires au Saint-Sépulcre. Lorsqu’on y passe la nuit, on assiste aux dévotions les plus variées, aux cérémonies les plus diverses. Tantôt des chants russes d’une mélancolie sublime s’élèvent vers les voûtes sombres, tantôt les voix nasillardes des Grecs ou les instrumens bruyans des Arméniens provoquent tous les échos de la basilique. Jusqu’à minuit, le silence est à peu près relatif ; mais à partir de minuit, les offices commencent, et c’est un tintamarre pieux capable d’assourdir les plus résistans.

Me trouvant enfermé au Saint-Sépulcre durant la grand’messe latine du jour de Pâques, grand’messe que les ornemens du plain-chant de Jérusalem font durer, comme je l’ai dit, toute une matinée, je me suis amusé, comme distraction, à parcourir en curieux les diverses parties de l’église. Ma première station a été pour la chapelle latine, où des messes basses se succédaient sans cesse à