Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prendre des mesures pour que l’ordre que nous allons créer soit à l’abri de toute subversion, et c’est là justement la difficulté. Non sans doute, tout n’est pas fini en Tunisie, L’exécution même de ce traité récemment signé peut soulever des questions assez graves ou tout au moins assez inextricables. Il n’est point douteux que le gouvernement français, en se constituant le représentant du bey à l’étranger et en garantissant les conventions des autres puissances avec la régence, s’est créé une série d’embarras éventuels. Il s’est imposé auprès du bey des obligations aussi épineuses que variées qu’il aura peut-être parfois quelque peine à remplir. Comment va-t-il procéder ? S’il se décide à s’éloigner des abords de Tunis, à rappeler nos troupes de la régence, tout peut recommencer à mesure que notre retraite s’exécutera. Si on reste indéfiniment, si l’on s’établit dans une série de postes sur la côte et dans l’intérieur jusqu’aux portes de Tunis, on touche à une annexion à peu près complète dont le gouvernement désavoue jusqu’ici la pensée.

Ce qu’il y a de plus apparent, c’est que dans l’intérêt de notre autorité à Tunis, comme dans l’intérêt des opérations qui restent à accomplir et de notre sûreté en Algérie, la nécessité d’une occupation assez prolongée semble dès ce moment démontrée. Puisque l’entreprise est engagée, il n’y a plus qu’à aller jusqu’au bout, et on ne peut désormais songer sérieusement à quitter la régence que lorsque les résultats qu’on s’est proposé d’obtenir seront définitivement et irrévocablement acquis, lorsque l’esprit d’intrigue et de résistance qui nous a appelés à Tunis se sera décidé à se soumettre aux faits accomplis. Les difficultés sont évidentes, sans doute ; elles ne sont point insurmontables pour une politique patiente, mesurée et résolue, attentive à ne rien brusquer, à concilier tous les intérêts, à montrer que, dans cette œuvre de la France en pays barbaresque, il n’y a rien qui puisse motiver cette étrange, explosion de susceptibilités dont le dernier traité a été l’occasion.

Que la Porte, encore toute meurtrie des défaites et des pertes qu’elle n’a point apparemment à reprocher à la France, essaie de consoler son orgueil avec des circulaires et des protestations au sujet d’une régence depuis longtemps détachée de l’empire ottoman, c’est peut-être étrange, ce n’est pas bien grave. Les protestations de la Porte vont se perdre dans les archives des chancelleries, et ses velléités d’intervention plus active se sont calmées devant un mot de notre ambassadeur à Constantinople. Ce qu’il y a de plus singulier et de plus triste, c’est l’émotion un peu extraordinaire qui s’est manifestée dans des pays comme l’Angleterre et l’Italie, qui s’était révélée dès l’entrée de nos troupes en Tunisie et qui, sous la première impression du traité du Bardo, est devenue un instant une espèce d’animosité contre la France. Il y a une distinction à faire sang doute. Les gouvernemens eux-mêmes, dans des pays qui passent pour amis, n’ont rien fait ni rien dit contre notre