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sous prétexte de le transfigurer un moment. Est-ce bien là un Figaro achevé ? Non, sans doute, ce n’est qu’un valet goguenard ; mais je l’aime mieux tel que tribun incommode. Le Figaro achevé, c’étaient sans doute Préville et Dazincourt, ou bien encore Monrose ; ceux-là étaient, au rapport des contemporains, et selon le vœu de l’auteur, « spirituels sans vulgarité ; mauvais sujets, mais fins, rusés, éduqués et non pas farceurs, » — tels que Marceline décrit son fils : « le beau, le gai, l’aimable Figaro, sémillant, généreux ! ., généreux comme un seigneur ; charmant enfin, » mais bien « le plus grand monstre… » — ou tel qu’en ses Mémoires la baronne d’Oberkirch dépeint Beaumarchais : « Autant la mine de chafoin de M. de la Harpe m’avait déplu, autant la belle figure ouverte, spirituelle, un peu hardie peut-être, de M. de Beaumarchais me séduisit. On m’en blâma ; on disait que c’était un vaurien., » » Le voilà « ce plus grand monstre ! » irrésistible, agile, tirant tous les regards après soi, l’esprit tendu comme son jarret andalous… Mais le ciel n’a pas donné à tous les comédiens, ni seulement aux bons, de répondre en tout point à un pareil portrait. D’ailleurs pour être louable dans les ouvrages du répertoire, il suffit, à mon avis, de ne pas nous les gâter. Certains comédiens, d’un talent trop ambitieux, nous ont disposés à applaudir leurs cadets, quand ceux-ci se contenteraient, par discrétion singulière, de ne pas altérer sciemment la physionomie des classiques.

Il faut remercier de cette reprise M. Emile Perrin et lui demander, à présent, de prendre confiance dans sa jeune troupe. Qu’il ne craigne pas de compromettre par de telles expériences « la douce, l’utile, la tant bien-aimée recette. » — C’est Figaro qui accumule ces épithètes louangeuses dans le Compliment de clôture écrit après le Barbier, et il demande si, dans le monde, il se fait quelque chose qui ne soit « au profit de la recette. » Mais, quatorze ans plus tard, Beaumarchais, en personne, adjurait les sociétaires de prendre un parti plus honorable que lucratif pour leur maison, et il tournait ainsi sa prière : « Quant à vous, mesdames et messieurs, si vous ne voulez pas qu’on vous dise que tout vous est indifférent, pourvu que vous fassiez des recettes, méditez les conseils que mon amitié vous présente. » — Il s’agissait alors d’un intérêt d’ordre public : il ne s’agit maintenant que des intérêts de l’art : je prie cependant M. Perrin de « méditer » ma demande. Qu’il persévère dans cette voie où il s’engage heureusement ; qu’il ait chaque jour plus de foi dans ses recrues de seconde ligne ; qu’il ne doute pas, comme Figaro, si le monde durera encore trois semaines : c’est par l’épreuve de ces jeunes talens qu’il assurera la bonne tenue de la maison de Molière.


Louis GANDERAX.