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bien une comédie, écrivait comme il parlait et qu’affairé, mobile, capricieux en ses réflexions, il était toujours, selon le témoignage d’un de ses amis « entier à la chose dont il s’occupait. » Ce monologue n’est qu’un accès de raison discourante, comme la scène de la reconnaissance n’est qu’un accès de sentiment. Une heure plus tôt cet accès d’éloquence eût servi à l’exposition de sa pièce ; il ne fait ici que déconcerter le spectateur : il faut cependant l’accepter tel qu’il est, et ne point lui donner un prix auquel le reste de la comédie soit sacrifié.

Or c’était justement la faute de M. Coquelin. Pour se mettre au niveau où il supposait le monologue, il s’élevait en insolence depuis la première scène jusqu’à celle-là. Je sais bien que M. Delaunay avait plus de grâce que d’autorité, qu’il semblait mieux fait pour plaire aux femmes que pour commander aux hommes, et que, si noble qu’il fût, il ne gardait rien de féodal. Même dans cette Espagne imaginée qui ressemble fort au pays où les barons d’Alfred de Musset ont leurs terres, dans cette Andalousie où le père de Perdican ce digne homme, pourrait être corregidor, où Basile annonce Blasius et Marceline dame Pluche, même en cette province de l’empire de Fantaisie, M. Delaunay manquait de prestige, et M. Laroche, qui le remplace, à défaut de son élégance, montre plus de gravité. M. Delaunay, délicieux dans les scènes de galanterie, paraissait mal propre à rendre des arrêts ; sa colère, à l’occasion, n’était pas des plus dignes, et dans sa familiarité on ne sentait pas une condescendance. Mais était-ce une raison pour lui parler de la sorte ? L’impertinence de Figaro ne doit-elle pas être prudente, joviale et toujours prête, au moins dans le commencement, à esquiver par une plaisanterie la riposte qu’elle mérite ? Quand Almaviva s’écrie : « Fripon, ta physionomie qui t’accuse me prouverait déjà que tu mens, » et que Figaro répond : « S’il en est ainsi, ce n’est pas moi qui mens, c’est ma physionomie ; » quand ces répliques se pressent comme des coups de raquette : «… Je me changeais. — Faut-il une heure ? — Il faut le temps. — Les domestiques ici sont plus longs à s’habiller que les maîtres. — C’est qu’ils n’ont point de valets pour les y aider ; » n’est-il pas vrai que de telles excuses doivent être lancées comme des boutades, comme des goguenarderies encouragées par la bienveillance dédaigneuse du maître ? Figaro se souvient que le jour où il a jeté sa fameuse phrase : « Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » le comte, en riant, s’est écrié : « Pas mal ! .. » Et si le maître laisse le valet achever sa définition de la politique, c’est qu’il se réserve de lui répondre légèrement, et comme à un personnage dont les paroles n’importent guère : « Eh ! c’est l’intrigue que tu définis ! » Figaro est le bouffon qui divertit le seigneur : à ce titre, on lui passe bien des licences ; il doit cependant toujours en guetter l’effet, et s’il lance toutes ses saillies sérieusement comme un citoyen qui