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commission ? » N’écrit-il pas au ministre des finances Ramel, qui lui marchande une audience : « Souffrez que j’envoie un grabat dans le grenier de votre hôtel ; on vous dira tous les jours : Il est là ? » Enfin, tout comme sa sœur Julie, qui a très peu d’heures avant sa mort, » rimait une chanson dont les assistans improvisaient les réponses, ne trace-t-il pas de sa plus lourde écriture, dans les derniers jours de sa vie, une romance qui débute ainsi :

(Grave et doux) Au fond d’un verger, Climène
Attendait le beau Licas ;
Sa bouche exprimait à peine,
Mais son cœur disait tout bas :
(Vite et fort) Qué bigre est ça ? landerirette,
Qué bigre est çà ? landerira.


Il était, en fin de compte, incorrigiblement gai ; sa gaîté, après un siècle, vit encore dans ses écrits, et tous les comédiens du monde ne prévaudront point contre elle.

Mais le Mariage de Figaro, c’est connu, a été le prologue de la révolution ! — Soit ! la pièce a tourné autrement que ne pensait l’auteur ; elle est sortie par là du « sentier battu de nos monotonies françaises, où trop souvent la première scène nous fait deviner la dernière. » L’écrivain avait composé ce prologue tout seul : il a rencontré pour le reste des collaborateurs imprévus. Les spectateurs et l’auteur lui-même, dans sa loge grillée, n’auraient pas ri de si bon cœur s’ils n’avaient cru que la salle était bien gardée : on tire volontiers de ces feux d’artifice, quand on sait les pompiers voisins. Sur les spectateurs il est à peine besoin d’insister. Louis XVI put bien dire, par une boutade prophétique, qu’il faudrait détruira la Bastille « pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse ; » mais, en somme, Mirabeau seul, éclairé « patriotiquement » sur les dangers de l’ouvrage par l’intérêt qu’avaient certains financiers de ses amis à faire baisser les actions de la pompe à feu, Mirabeau, seul en France, s’avisa que le chef-d’œuvre de Beaumarchais « déchirait, insultait, outrageait tous les ordres de l’état. » Pense-t-on que la princesse de Lamballe, en applaudissant la pièce, appelât de ses vœux la journée du 3 septembre ? Non, non, tout le monde alors pensait comme le censeur Gaillard : « Les gens gais ne sont pas dangereux ; » et voilà pourquoi tant de courtisans s’écriaient avec le duc de Fronsac : « Hors le Mariage de Figaro, point de salut ! »

Faut-il voir là une marque singulière d’aveuglement, et un incident de ce « colin-maillard » qui, « poussé trop loin, devait finir par la culbute générale ? » Mais regardons où allaient les opinions de l’auteur. Pouvons-nous accepter pour précurseur, de la révolution messire Caron de Beaumarchais, écuyer, conseiller du roi, lieutenant-général aux