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légitimité des droits d’Henri VI.[1]. En prenant le nom de Mortimer, Jack Cade oppose d’avance les descendans du troisième fils d’Edouard III à l’héritier du quatrième fils, la branche aînée à la branche cadette. Après lui, le duc d’York peut venir pour « récolter la moisson qu’un autre aura semée. » Lorsqu’il réclamera, à la tête d’une armée, les droits de sa maison, la moitié de l’Angleterre se sera déjà habituée à considérer Henri VI comme un usurpateur. La patience qui convenait à des desseins préparés de très loin fait place maintenant à l’énergie de l’homme assuré de sa force et décidé à brusquer la fortune après l’avoir longtemps ménagée. La prudence calculée de Richard Plantagenet contenait en germe l’audace du vainqueur de Saint-Albans. C’est bien le même caractère qui, dans sa complexité puissante, se développe logiquement de la première à la troisième partie de la trilogie.

L’étude attentive des personnages nous conduit donc à retrouver dans les trois parties d’Henri VI l’unité de composition qui semble révéler partout le travail d’une seule main ou tout au moins la révision attentive d’une seule personne. On ne possède aucun texte de la première partie de la trilogie qui soit antérieur à l’édition de 1623 ; mais un canevas de la seconde et de la troisième partie, qui avait déjà paru en 1594 et en 1595, a été publié de nouveau et mis à la portée de tout le monde par M. Halliwell. On s’est beaucoup demandé en Angleterre et en Allemagne si ces deux vieilles pièces, sensiblement inférieures au texte de 1623, étaient ou non de la main de Shakspeare. On a fait à ce propos de très savantes études de style en comparant le langage et la versification des drames primitifs au langage et à la versification des prédécesseurs de Shakspeare. Miss Lee, qui a étudié la question de très près, croit y reconnaître la main de Marlowe, de Greene et peut-être même de Peele. Voilà bien des collaborateurs pour des pièces publiées sans un seul nom d’auteur. Une fois sur la piste de la collaboration, miss Lee ne veut pas s’arrêter en si beau chemin et, tout en reconnaissant que le texte définitif de la seconde et de la troisième partie d’Henri VI appartient surtout à Shakspeare, elle lui donne Marlowe pour collaborateur.

Ce sont là d’innocentes hypothèses qu’il faudrait appuyer sur d’autres fondemens que des ressemblances de rythme et de style pour les faire passer dans le domaine des faits. Shakspeare, nous l’avons déjà dit, a pu s’inspirer de Marlowe et de Greene, ses prédécesseurs au théâtre, sans qu’il soit permis de conclure de ces

  1. L’épisode de Jack Cade est d’une grande beauté, même dans la vieillie édition de 1594. Shakspeare seul a pu l’écrire.