Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Salon, un grand nombre de jeunes filles et d’adolescens qui languissent, qui expirent, qui sont morts. Rapprochées les unes des autres, ces figures eussent impressionné péniblement le visiteur avec leur air de victimes. Réparties comme elles le sont sur différens points de l’exposition, on les regarde avec plaisir, car il y en a de fort jolies. La plus touchante de toutes est un Abel de M. Cariés, étude dont le sentiment est délicat et dans laquelle l’habileté plastique est poussée à un degré extrême. A la même école appartiennent aussi des statues que la vivacité de leurs mouvemens et l’esprit qu’on y remarque rendent intéressantes. Telle est la Nymphe Écho de M. Gaudez : prête à tirer quelque son d’une flûte qu’elle tient à la main, espiègle, elle s’enfuit, mais regarde en arrière et veut être entendue… Que de fraîcheur ! Que de charme dans cette exécution qu’on peut dire colorée et dont la perfection, attachée au plâtre même, a quelque chose de définitif et de fatal ! Ni le marbre ni le bronze ne l’égaleront. Nous le craignons pour M. Cariés comme pour M. Gaudez, le ciseau et la lime seront impuissans à rendre ce que leurs mains si délicatement douées ont réalisé.

Mais la question qui nous occupe prend une portée inattendue aussitôt qu’il s’agit d’ouvrages qui dépassent la proportion naturelle. Alors la prédilection qu’ont les sculpteurs pour les artifices du pétrissage nous apparaît comme inséparable d’une manière peu élevée de rendre la nature. Ainsi en est-il du Chasseur d’aigles, de M. Desca, bien que ce soit une étude importante que cet homme qui achève un aigle renversé sur la terre en le frappant de son bâton ; ainsi en est-il encore de l’Homme avant l’âge de pierre, tel que l’a énergiquement représenté M. Carlier, ainsi en est-il également de plusieurs autres statues. Elles procèdent d’un généreux effort ; elles accusent infiniment de conscience et beaucoup de talent ; la nature y est copiée de très près et non sans force. Mais que ces jeunes artistes nous permettent de leur dire que ces figures, si louables qu’elles soient, manquent du caractère sculptural. Cela devient d’autant plus sensible qu’elles sont au-dessus de l’ordinaire. Ici la copie pure et simple du modèle vivant ne suffit plus. L’art reprend tous ses droits. C’est alors que les divisions du corps humain veulent être accentuées et comme ponctuées, afin d’établir clairement dans l’ensemble l’ordre et la proportion. C’est alors qu’il faut insister sur les grands plans de construction auxquels le détail se subordonne et qui assurent à l’œuvre de la statuaire cet air de résistance et cette solidité qui la caractérisent. La connaissance de l’anatomie et la vue d’une nature toujours choisie, vivante et agissante, devraient certainement conduire celui qui est artiste à bien concevoir les conditions fondamentales grâce auxquelles l’art de la sculpture se distingue du simple moulage. Mais dans ce travail