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instruire de ses droits, par établir la généalogie qui le fait descendre du troisième fils d’Edouard III, tandis que les Lancastre ne descendent que du quatrième. Quand les confidences de son oncle Mortimer, qui le considère comme l’héritier légitime de la couronne, l’ont convaincu de la légitimité de ses titres, il se fait rendre son rang, l’héritage de la maison d’York ; puis, lentement, mystérieusement, il cherche à faire pénétrer dans quelques esprits sa propre conviction. Les injustices de ses adversaires et sa propre habileté lui ont concilié la bonne volonté des Nevil, du vieux Salisbury et du puissant comte de Warwick, qui se fait son avocat auprès du roi ; quand il les a préparés à tout entendre et à tout croire de sa bouche, il aborde avec eux la question délicate de la succession au trône, et il les laisse convaincus de la solidité de ses droits.

Il n’est point encore temps néanmoins de se prononcer publiquement. Mortimer lui a conseillé la prudence ; il reste assez maître de lui pour se répéter chaque jour ce conseil. Un armurier étant accusé d’avoir dit que Henri VI était un usurpateur et Richard, duc d’York, le véritable héritier de la couronne, York a peur qu’on ne devine trop tôt ses secrètes pensées et réclame le premier toute la rigueur des lois contre l’imprudent qui a parlé avant l’heure. La force lui manque encore ; il la trouvera lorsqu’on commettra la faute de lui confier une armée pour soumettre l’Irlande. « C’était d’hommes que je manquais, dit-il alors ironiquement ; vous voulez bien me les donner, je les prends avec reconnaissance. » Richard d’York est le premier de cette lignée de politiques ou de scélérats dont la poésie dramatique ne peut nous révéler les pensées cachées que dans une série de monologues. L’ambition de Shakspeare est de nous faire pénétrer jusqu’au plus profond de leur âme ténébreuse ; mais, avec une intuition admirable de ce que la scène exige de vraisemblance dans le dessin des caractères, il sait qu’il ne peut leur donner de confidens sans affaiblir l’idée que nous devons avoir de leur astuce ou de leur dissimulation. En se parlant à eux-mêmes, ces artificieux personnages ne livrent leurs secrets à aucun de ceux qui pourraient s’en servir contre eux, et ils nous font connaître cependant ce que nous avons besoin de savoir pour les bien juger. C’est ainsi que s’ouvrent à nous les âmes fermées d’Henri VI, de Richard III, d’Iago. Une confidence qui trahirait leurs pensées pourrait les perdre ; un monologue nous les livre tout entiers sans les trahir.

La révolte de Jack Cade, encouragée sous main par York, a le double avantage de détourner l’attention d’un danger lointain pour la porter vers un danger présent et de répandre des doutes sur la