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devait recevoir la consécration du marbre. Aujourd’hui il nous revient tel que nous l’avons souhaité, mais plus beau qu’il n’était d’abord parce, que le carrare auquel il était destiné l’a rendu plus idéal et que l’artiste, heureusement inspiré, l’agrandi. Tout a gagné à ce que ce groupe ait pris des proportions héroïques : la représentation du sujet est devenue plus imposante à raison de sa masse, et la pitié qu’il inspire d’autant plus intense qu’on la ressent pour des êtres qu’on dirait au-dessus de l’humanité, Ils sont malheureux cependant. Alceste expire, et ses enfans la conjurent en vain de ne pas les abandonner. Voyez avec quelle tendresse religieuse leurs jeunes mains s’attachent à la mourante, cherchant à la retenir et craignant à la fois d’offenser son corps souffrant ! Tout est profondément vrai dans cette scène : puisse l’artiste n’en avoir jamais vu d’aussi cruelle ! Tout y est tendre et émouvant. La composition, qui est animée sous quelque aspect qu’on l’envisage, reste néanmoins enveloppée dans des lignes stables, et l’exécution, qui est très souple, fait pourtant sentir que ces personnages si pathétiques ont été tirés d’un bloc inerte et que rien ne saurait relâcher les liens dans lesquels le marbre les tient rassemblés.

A quelques pas de l’Alceste mourante, voici un autre groupe, plus condensé encore et dont toutes les parties sont absolument solidaires. C’est le seul point par lequel il se rapproche du précédent, avec lequel il forme du reste le contraste le plus complet. Ici, en effet, tout est riant et serein ; c’est la vie grecque rendue piquante par une pointe d’esprit moderne ; c’est une œuvre de M. Gérôme, maintenant aussi habile à sculpter qu’à peindre ; c’est Anacréon portant l’Amour et Bacchus sous la forme de deux enfans. Vêtu d’une tunique d’Ionie, la lyre à l’épaule et marchant à pas rythmés, le vieillard de Téos s’avance dans la vie sans paraître sentir le poids de son double fardeau. En ce moment, Bacchus sommeille ; Anacréon penche du côté de l’Amour. Cette composition ingénieuse, à la manière d’une épigramme de l’Anthologie, est bloquée à merveille et traités avec une extrême habileté.

Tout à côté, M. Gautherin a aussi un ouvrage d’un beau caractère sculptural. Il nous rapporte, traduit en marbre, son groupe représentant Adam et Eve, et qu’il intitule le Paradis perdu ; on ne l’avait pas oublié. Là aussi une bonne entente des masses, une exécution large et un modelé harmonieux sont à signaler. Ce sont les hautes qualités de l’art, les qualités des œuvres saines. De ces œuvres il y en a encore plusieurs auxquelles nous voudrions nous arrêter : le Tombeau de la princesse Christine de Montpensier, dû au ciseau sympathique de M. Millet ; le Jeune Bacchus, envoyé par M. Allouard, dont le talent progresse toujours, et le petit Saint Jean,