Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sera-ce donc si, après ces châteaux et ces hôtels, d’un style si noble qu’ils soient, nous nous trouvons en présence de monumens tels qu’en élevait la magnificence des Romains ? La grandeur des édifices et la somptuosité des matériaux ajoutent à la beauté des formes et contribuent à l’expression de l’ensemble ; car la richesse des nations est une manifestation de leur puissance. Cette pensée vient naturellement à l’esprit quand on s’arrête devant la belle restauration que M. Blondel a faite du temple de la Concorde, à Rome. Les pensionnaires de l’Académie de France ont le monopole et le bénéfice de ces travaux de l’ordre le plus élevé. Leurs restaurations, si fondées qu’elles soient en raison, sont toujours idéales. L’étude de la forme pour la forme y tiendra toujours la première place au grand avantage de l’art pur et de l’architecture nationale. Plus tard, lorsque, revenus parmi nous, ces jeunes artistes entreront dans la pratique, ils garderont l’amour et le respect de cet agrandissement des choses, de ces amplifications nécessaires qui élèvent l’art au-dessus de la considération des besoins matériels pour en faire l’interprète et l’initiateur des plus nobles aspirations de l’esprit. Et c’est ainsi que même en ruines et à travers le temps les chefs-d’œuvre de l’architecture nous apparaissent pleins d’idées, pleins d’âme et non pas seulement comme les magnifiques vêtemens de civilisations qui ne sont plus.

Nous ne voulons donc pas faire d’objections sérieuses au travail de M. Blondel. Malgré le petit nombre de documens dont il a pu s’aider, nous acceptons son œuvre. En imaginant beaucoup, l’artiste est resté dans son rôle et dans son droit. D’ailleurs il ne s’est pas borné à faire des conjectures. Le plan du temple est encore tout entier sur le sol. L’élévation en est donnée, du moins sous son principal aspect, par une médaille en bronze de Tibère, qui a été frappée à l’occasion de la consécration de l’édifice. En comparant cette médaille aux dessins du jeune architecte, on voit qu’il a pris vis-à-vis d’elle certaines libertés, entre autres celle de supprimer entièrement des niches carrées qui sont indiquées dans le mur de la cella à droite et à gauche du péristyle, et dont Canina avait fait des fenêtres. Mais la restauration de M. Blondel a été soumise à l’Académie des beaux-arts, qui l’a appréciée dans un rapport qui a été rendu public ; nous nous inclinons devant l’autorité de ce jugement. Nous ne parlerons donc ni de l’éclairage du temple, ni de sa décoration intérieure, ni d’autres points de détail qui, comme le plafond, prêteraient à la discussion. En ce qui nous concerne, nous nous bornerons à une observation d’un caractère général. Nous nous demanderons si M. Blondel, pour la restitution extérieure de l’édifice, a eu connaissance suffisante de tous les fragmens