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honorablement la tradition : pour cela il suffit d’un certain nombre de bons ouvrages, et dans aucun genre ils ne font défaut. A le considérer dans son ensemble, il présente une très grandes variété, qui résulte non-seulement du choix des sujets, mais surtout de la manière dont ils sont traités. Dans ce sens, on prend des libertés extrêmes. Il n’y a plus d’écoles. Celles qui donnaient encore signe de vie il y a quelques années ont achevé de disparaître. On ne voit plus que des individus. Tous font de leur mieux, sans doute, mais chacun est exclusivement préoccupé de développer son originalité ou de s’en créer une. Si le propre du romantisme est d’affranchir l’artiste de toute tradition, de substituer à l’expression collective de l’art les manifestations individuelles de ceux qui le cultivent, s’il consiste à professer que la valeur de l’œuvre réside uniquement dans le caractère particulier que lui donne son auteur, et enfin si, pour obtenir Ce résultat, le peintre et le sculpteur sont décidés à ne s’arrêter devant aucune considération, à ne se soumettre à aucune autorité et à faire tout céder à leur sentiment personnel, s’il en est ainsi, on peut dire que l’avènement du romantisme est complet. Il y aura toujours des exceptions, mais tel est l’état général de l’art. Cependant quoique la théorie romantique soit passée dans la pratique, elle ne constitue pas une doctrine. Elle ne procède pas de ces principes généraux, impersonnels, elle ne s’appuie pas sur ces lois qui peuvent servir de direction et de règle à un grand nombre d’esprits. Ennemie systématique de toute autorité, elle n’a point d’autorité en elle-même. Née de l’exaltation du sentiment personnel, elle peut toujours être contestée au nom du sentiment et de la personnalité.

La conséquence de cet étal et de l’idée qui l’a fait naître ne laisserait pas que d’intimider un peu la critique. Car si elle était sincèrement romantique elle-même, de quel droit prétendrait-elle s’exercer ? Comment juger, en effet, quand il n’y a ni principes reconnus, ni règles consenties ? D’après quelles données diriger son examen, sur quoi de réellement communicable fonder ses appréciations, sous quelles garanties présenter son opinion ? Devrait-on se contenter de proclamer ou de nier l’originalité des artistes et de leurs œuvres ? Mais sur ce point seul, on aurait peine à s’accorder. A quoi reconnaître cette qualité maîtresse ? Là où nous croirions la rencontrer, d’autres la contesteraient, et ce serait leur droit. Le sentiment est indépendant, mais il ne saurait s’imposer. À cette impossibilité de s’entendre, à cette impuissance de juger et de convaincre s’attache une sorte de danger : c’est que, ne pouvant s’appuyer sur la raisons on ne se laisse entraîner par la passion. Alors on aimera ou on dédaignera aveuglément telle œuvre et même telle