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tache dans la première partie et qui peuvent s’expliquer par l’extrême jeunesse de l’auteur, on y reconnaît la même main que dans la seconde et la troisième parties. Non-seulement la seconde partie reprend la première au point où celle-ci a laissé les événemens, mais tous les caractères qui passent de la première à la seconde partie conservent dans ce passage leurs traits essentiels. Le duc de Glocester, l’évêque de Winchester, Henri VI, Marguerite d’Anjou, le duc d’York nous sont montrés, dès le début, tels que nous les verrons plus tard. Leurs caractères se développent dans le sens des premières indications du poète. L’unité de composition peut-elle être mieux attestée que par cette suite dans les idées et par cette fidélité des personnages à eux-mêmes ?

Qu’on les étudie les uns après les autres, on ne trouvera rien ni dans leur langage ni dans leurs actions qui ne soit absolument conforme à ce que nous attendions d’eux après les premières paroles qu’ils ont prononcées. Les deux traits distinctifs du caractère de Glocester, la loyauté dans le dévoûment au roi et au pays, la volonté de ne pas être dupe des gens d’église et de résister à l’influence politique qu’ils s’attribuent, sous le couvert de la religion, se révèlent dès la première scène de la première partie d’Henri VI. Pendant que les grands seigneurs anglais, réunis dans l’abbaye de Westminster, pleurent sur le corps d’Henri V, l’évêque de Winchester, plus ambitieux que patriote, songe tout de suite à faire profiter l’église de cette mort : « Il a combattu, dit-il, les batailles du Dieu des armées ; ce sont les prières de l’église qui l’ont fait si prospère. — L’église ! répond le duc de Glocester, où est-elle ? Si les gens d’église n’avaient pas prié, la trame de sa vie ne se serait pas usée si vite. Vous tous, vous n’aimez qu’un prince efféminé que vous pouvez dominer comme un écolier. » Le politique qui parle ainsi, dès la première scène, est bien celui qui, dans la deuxième partie d’Henri VI, donnera une leçon de clairvoyance à un roi dévot et retirera aux gens d’église le bénéfice d’un faux miracle. Il soutient le caractère que le poète lui a attribué lorsqu’en présence de la cour et de la foule ébahies, il fait toucher du doigt l’imposture de Simpcox. Winchester annonce avec fracas l’arrivée d’un aveugle-né qui vient de recouvrer la vue devant la châsse de saint Albans ; le peuple crie au miracle, et le roi bénit Dieu. Glocester seul devine la supercherie, montre à tous que le prétendu aveugle, auquel il tend un piège, a toujours vu clair et opère lui-même un miracle plus sérieux en lui faisant retrouver, à coups de fouet, l’usage de ses jambes qu’il prétend avoir perdu.

Le contraste de la loyauté de Glocester et de l’ambition sans scrupules de Winchester s’accuse également dans la première