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faut à son ambition et sans aucune des habitudes qui accompagnent les spéculations heureuses, il vit à l’écart, selon le caprice du moment, dans une indifférence absolue des conventions que le monde impose. Ce n’est pas un misanthrope, mais plutôt un humoriste, qui, n’ayant pas besoin de la société, peut se donner le rare plaisir d’agir et de penser autrement qu’elle, de prendre en pitié tout ce qu’elle admire, et de garder son admiration pour ce qu’elle dédaigne. Lorsque Gabrielle l’a rencontré, Fielding venait justement d’entreprendre sur le vif une expérience philosophique. Il s’était logé dans une maison d’ouvriers et, bienfaiteur anonyme de ménages dans l’embarras ou de petits employés sans ressources, il jetait un rayon de gaîté sur la triste demeure. Un jour, pour rendre service à son voisin absent, il a ouvert la porte à Gabrielle, et cette gracieuse apparition l’a laissé tout rêveur. L’exercice de la charité, dans de certaines conditions, présente quelquefois des dangers, et c’est être téméraire, quand on est femme, que de prendre pour confident et pour collaborateur un homme jeune, spirituel et généreux. Le jour où Gabrielle Vanthorpe s’aperçoit de cette vérité, il est trop tard pour réparer le mal. D’ailleurs, en est-ce bien un, et le rôle que cherchait donna Quixote n’est-il pas tout tracé devant elle dans un heureux mariage ?

M. Mac-Carthy, — la conclusion de Donna Quixote le prouve suffisamment, — est un adversaire déclaré de ce qu’on appelle l’émancipation de la femme. Il n’ignore pas cependant qu’en Angleterre, plus peut-être que partout ailleurs, les jeunes filles se plaignent de leur inutilité dans l’organisation sociale, et, comme la femme de l’Ancien-Testament, sont souvent tentées de se demander à quoi leur sert la vie. L’avenir qui se déroule au sortir de la pension devant les plus heureuses perd bientôt tout son attrait à leurs yeux. Passer sa matinée à écrire des lettres, à élever des oiseaux ou à cultiver des fleurs, s’habiller pour le lunch, faire des visites ou parcourir des magasins, se remettre à table pour le thé de l’après-midi, changer de toilette au moment du dîner et consacrer sa soirée à ces plaisirs sans lesquels, suivant un homme d’esprit, la vie serait encore assez tolérable, voilà certainement une brillante existence, mais il paraît qu’on finit par s’en lasser et qu’il arrive un instant où elle ne suffit plus à remplir le cœur ni l’imagination. L’ennui naît alors avec le besoin d’une activité moins frivole. Quant à celles qui, n’ayant pas la fortune, n’ont ni chevaux ni voitures, ni distractions coûteuses à leur disposition, pour s’ennuyer autrement elles ne s’ennuient pas moins. De là les rêves de régénération sociale, les essais de nouvelles religions et de nouvelles philosophies. De là les miss Jansen et les