nouvelles, même les plus contradictoires : il lui suffit qu’elles soient avancées. Elle est ou plutôt elle voudrait être familière avec tous les problèmes de l’esprit humain, avec toutes les questions d’où dépend l’avenir des sociétés. C’est là un nouvel idéal féminin mis en honneur par les écrivains et destiné à remplacer les types usés de la génération précédente. A la femme passionnée et romanesque a succédé la femme sérieuse. Personne ne saurait dire combien de temps elle durera, car il en est de ces créations comme des chapeaux de l’année prochaine, dont nul mortel n’oserait prédire la forme. Il faut donc se hâter de la contempler pendant qu’elle existe encore. Mrs Seagraves reçoit dans son salon une foule de gens qu’on ne rencontre jamais nulle part ailleurs et qui tous ont fait quelque chose, d’original, de remarquable, ou au moins de ridicule. Au milieu de cette société bigarrée, la maîtresse du logis cherche à tirer du chaos des opinions les plus opposées une harmonie qui ne se dégage qu’imparfaitement. L’ardent désir de ne blesser personne lui fait commettre les confusions les plus singulières, et la seconde partie de ses phrases ne manque jamais de contredire la première.
« Mrs Seagraves avait des cheveux jaunes tirant sur le rouge et qui, retombant sur son front en broussaille, témoignaient d’une négligence pleine de travail. Sa taille, était-ce l’effet de l’art ou la volonté de la nature ? commençait immédiatement sous les bras, et sa longue robe pendait de la ceinture au talon. Autant qu’on en pouvait juger, Mrs Seagraves paraissait, en fait de jupons, avoir restreint son costume au minimum, et le vêtement vert sombre qui couvrait la maigreur de sa forme allongée ressemblait plutôt à une gaine qu’à une draperie. Elle inclinait habituellement la tête en parlant, et ses yeux restaient à demi voilés par leurs languissantes paupières.
« — Isabelle, lui dit son frère, laissez-moi vous présenter mon jeune ami Pembroke, dont je vous ai souvent parlé. Pembroke, ma sœur est une femme aux vues avancées.
« — Que faut-il entendre par là ? demanda Pembroke.
« — Oh ! répondit Mrs Seagraves, vous le savez bien ; ce sont des opinions sans étroitesse, sans limites, libres. Plus de conventions gênantes, plus d’asservissement aux contraintes et aux lois du monde. Je ne veux pas dire qu’il faut secouer toute espèce de règle ; non, cela ne conviendrait pas, et je serais la dernière à l’approuver ; cependant…
« — Un grand homme n’a-t-il pas dit que c’est seulement dans la loi que l’esprit trouve la liberté ?
« — Vraiment ? oh ! voilà qui est exquis, J’aime ce mot… sans